L’homme et la femme entrent dans une des salles du musée. La salle est vide de visiteurs.
L’homme : Enfin un peu de calme !
La femme : C’est vrai qu’il y a un monde dingue aujourd’hui.
L’homme : C’est ça, dingues, les gens sont dingues, c’est le mot juste… Je ne sais pas comment tu m’as convaincu de te suivre, c’est un calvaire.
Il se couche sur la banquette au milieu de la salle et pose ses pieds sur l’accoudoir.
La femme : Redresse-toi ! Tu me fais honte…
L’homme : Oh, là, là, c’est quoi, ici, une église ?
La femme : Non, juste un musée, et j’aimerais que tu aies un peu de respect pour les œuvres qui nous entourent. Putain, on est quand même au milieu du travail des plus grands artistes du monde, et tu te vautres comme un sauvage !
L’homme : Pas du tout ma chère, je ne me vautre pas, je m’étends. C’est pour mieux apprécier les prochains chefs d’œuvre qui s’offriront à mes yeux ébahis, vois-tu…
La femme : Fais-moi rire ! Depuis le début de la visite, tu as à peine effleuré du regard une toile, et encore, pour ricaner. Moi qui pensais partager des sensations avec toi…
L’homme : Mais je ressens une foule de sensations, ne te méprends pas ! Simplement, ce ne sont pas les œuvres qui les provoquent, mais les gens qui disent les apprécier. Je t’assure, ils sont pathétiques, ces malades ! Tu as vu le type, tout à l’heure ? Je t’ai fait signe pour que tu le regardes, mais tu étais en état de choc devant… Devant quoi d’ailleurs ?
La femme : Je crois que c’était devant Olympia, tu sais, la courtisane nue, de Manet. Je suis toujours fascinée par ce tableau, chaque fois que je le vois, je découvre…
L’homme (lui coupant la parole): Ouais, ouais, on sait. En tout cas, je t’ai appelée, et tu as fait semblant de ne pas m’entendre.
La femme : Pas du tout, qu’est-ce que tu racontes ?
L’homme : La preuve, tu m’as carrément snobé, alors que tu sais précisément que c’était devant Olympia. C’est bien dommage, parce que le spectacle était dans la salle, c’est moi qui te le dis !
La femme : C’est-à-dire ?
L’homme : Hum… Je serais tenté de te laisser dans l’ignorance, maintenant : punition ! Mais je suis bon prince, je te raconte la scène. Il y avait là un mec qui a arpenté toute la salle en mitraillant chaque tableau avec son appareil photo numérique. Je te jure ! Il n’a pas levé les yeux un seul instant de son écran LCD, il a tout vu par le hublot, en quelques sortes ! Je me bidonnais intérieurement de le voir faire…
La femme : Franchement, c’est mieux que de ne rien regarder du tout, comme tu le fais toi !
L’homme : Ah, mais c’est pas tout, figure-toi ! Un autre que moi a remarqué le manège, je l’ai vu pousser sa compagne du coude, et lui montrer le paparazzi fou. Ils l’ont observé un moment, et tu sais ce qu’il a fait, le type avec sa femme ?
La femme : Tu vas me le dire…
L’homme : Il a pris son propre appareil, et il a pris le photographe en photo, et pas qu’une fois ! C’était à mourir de rire, je te jure ! Il y avait là le crétin du début avec son appareil tendu devant lui à bout de bras, l’air sérieux et appliqué, tu vois ? Derrière lui un type hilare qui le suit à la trace avec son propre appareil, et encore derrière, la nana qui se marre en les regardant tous les deux !
La femme (riant): Et encore derrière, toi qui les regardes tous les trois. Heureusement que je suis restée concentrée sur Manet !
Elle reprend son observation des tableaux autour d’elle. Lui reste allongé sur le divan, il regarde le plafond.
La femme : Je ne comprends pas comment tu peux rester insensible. C’est magique… Chaque détail m’apporte une émotion, me donne une indication sur les intentions du peintre ! Regarde cette merveille…
L’homme : Voyons ?
Il se lève, se place derrière elle et regarde attentivement ses fesses.
La femme : Tu vois, là, on ne voit pas seulement la scène, mais aussi les sensations que l’artiste a ressenties. L’émotion est palpable dans chaque coup de pinceau, c’est étonnant…
L’homme : Etonnant, oui… C’est vrai que ça provoque une certaine émotion.
La femme : Je suis contente de te l’entendre dire ! Regarde cette merveille…
L’homme : Je ne fais que ça !
La femme : Cette lumière ! Ce mouvement ! On pourrait le décrire pendant des heures…
L’homme : Absolument…
La femme : Je suis contente qu’il te plaise, c’est un de mes préférés.
L’homme : Moi, c’est mon préféré, sans discussion possible !
Elle se tourne vers lui, voit qu’il a le regard braqué sur sa chute de reins.
La femme : Mais tu es infernal, bon sang !
L’homme (la chatouillant): Allez, je blague ! Tu devrais plutôt être flattée que je m’émeuve plus de ton cul que d’une nana à poil dans les bois entre deux mecs…
La femme : Tu me désoles…
L’homme : Et bien quoi ? J’aime la vraie vie, moi, j’aime ce qui est chaud et qui bouge, je ne vois pas où est le mal !
La femme : Ce n’est pas incompatible. J’aime la vraie vie aussi, ça ne m’empêche pas d’aimer l’art.
Elle lui tourne le dos, boudeuse, il la regarde en souriant.
La femme : C’est vrai, quoi, tu ne peux pas être hermétique à ce point ! Tu vois, moi, certains tableaux me coupent le souffle, j’aimerais tellement que tu partages ça avec moi…
L’homme : Moi, ce qui me coupe le souffle, c’est de te regarder quand tu es émue. Alors on va décider de quelque chose : toi tu prends ton pied devant les œuvres des grands Maîtres, et moi je me régale à te dévorer des yeux, tu es d’accord ?
La femme (riant): Tu es incorrigible…
L’homme (l’embrassant) : Je suis fou de toi…
Je pense que l’émotion est de l’ordre de l’intime, presque du jardin secret … et il arrive toujours que des émotions se croisent sans crier gare !
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« Moi, ce qui me coupe le souffle, c’est de te regarder quand tu es émue. »
Je suis émue.
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J’en suis très heureuse…
A bientôt, Constance.
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De l’esthétisme du tableau figé au tableau vivant… l’un évoque ( c’est donc du virtuel), l’autre se prête directement au sensible, au toucher, à la tiédeur, au frissonnement, c’est du « réel »….
perso, j’apprécie les deux
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Perso, j’apprécie le continuel basculement entre les deux…
Merci pour le commentaire !
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