Le hasard n’a pas d’égard…

Dis-moi un mot, je lui ai dit, lance-moi, mets-moi au défi, chatouille mon imaginaire, fais frissonner mon inspiration, j’adore les récréations.

Retenue.

C’est ça qui est sorti. Retenue. Poum. Tu pensais pas, je crois, en proposant ce mot, combien il remuerait de choses en moi. Je l’ai soupesé, ce machin là, je l’ai laissé gonflé dans mon esprit, je l’ai laissé se tordre, faire sens, sens au pluriel, plusieurs, multiples, les trucs de ma vie, des meurtrissures ou des envies, des impacts craints ou bien établis, de menus alibis, des reculades, des dérapages, des gamelles mémorables. Tu pouvais pas deviner ! Comment est-ce possible ? Est-ce que tu savais ? Qu’est-ce qui a provoqué l’alchimie dans ton esprit ? Comment as-tu senti, d’où c’est venu, où l’as-tu lu ?

Retenue. Maintenue. Contrainte. Empêchée. Entravée. Bâillonnée. Encagée. Verrouillée. Muselée. Enchaînée. Cadenassée. Emmurée. Réduite. Rabougrie. Étiolée. Fanée. Meurtrie. Ratatinée. Détruite.

C’est le premier des sens multiples à s’être imposé. La gorge en feu d’avoir si fort crié, le visage boursouflé, les yeux gonflés, se débattre, s’échapper, s’arracher aux pièges, aux gentils sortilèges dans lesquels je m’étais si bien lovée. Bercée. Croyant y être en sécurité, et finalement se sentir vide, vidée, proche du néant, du rien, de la mort lente et vaillante, de la fin programmée. J’ai cabré. Rué. Et dérouté les innocents autour. J’ai fait du bruit. Les chaînes en se fracassant au sol font un vacarme épouvantable et salvateur. Il fallait encore plus de bruit, plus de rage, plus de fureur, fallait que ça tonne, fallait que ça m’arrache le bide, j’ai pas fait dans la dentelle de ménagère, j’ai rompu le cercle vicieux pour accéder au second souffle. Le meilleur. Celui qui mène loin et ramène à la terre, à l’air. Et libère.

Mais la tête a continué sa petite randonnée. Pas finie la balade Messieurs Dames, sens second, ne pas s’égarer, regarder droit, se tenir fière, se redresser. Et c’est venu.

Retenue. Maintenue. Enserrée. Entourée. Contenue. Épaulée. Encouragée. Sécurisée. Rassurée. Soutenue. Protégée. Supportée. Accompagnée. Épargnée. Soulagée. Admirée. Acceptée. Épanouie. Grandie.

Ne plus avoir peur, aller de l’avant, haut le menton, cambrés les reins, dressés les seins, sourcils froncés : je sais où je vais. Quoi la boussole ? Quoi les marées ? La lune pour me jauger, les étoiles pour ricaner, un peu, parfois, quand je tournicote au hasard du brouillard. Perds pas le nord, éclaire le sud, cherche ton pôle, garde le cap, et apprécie, ma belle, le souffle sur ta nuque. La main posée, solide entre les omoplates, chaude, douce, puissante. A jamais présente. Dans le noir, toute seule, j’ai souri. C’est une drôle de vie.

Retenue. Contrôlée. Mesurée. Réfléchie. Pondérée. Impassible. Sereine. Prudente. Calme. Apaisée. Discrète. 

Espoir illusoire. Volonté chevillée, tatouée. Certains y croient, savent pas, à l’intérieur, comme ça turbine en haut voltage. Suffit de regarder les mains écorchées, les genoux qui sautillent, le visage qui s’agite, quand le verbe, lui, parvient à rester doux. J’aimerais oui… J’aimerais…

Retenue. 

Re.

Te.

Nue.

8 commentaires sur « Le hasard n’a pas d’égard… »

  1. Camille… Tu es vraiment très forte. Tu me demandes un mot, je te le donne bien volontiers. Et en moins de 48h tu nous ponds cette petite merveille. Avec Chloé j’imagine qui garde sa petite pression quotidienne. Tu as vraiment beaucoup de talent, Camille, et au-delà de ça une belle sensibilité. Ton texte me touche, car si j’ai proposé ce mot plutôt qu’un autre, ce n’est évidemment pas le fait du hasard. J’ai moi-même du mal à gérer le troisième sens, si longtemps « cheval fou » difficile à faire regagner l’enclos. Comme toi, j’écris souvent avec une tension intérieure, la jambe qui pulse sous le bureau. Pour l’orthogrape, je préfère largement ton approche : celle du résultat plutôt que de l’injonction. Je préfère quand ça « participe » plutôt que l’ordre infinitif sans saveur… Il n’y a pas de règles en la matière, pas plus qu’il n’y a d’obligations à placer un verbe dans une phrase pour qu’elle soit phrase… Ton verbe, justement, me touche. N’arrête jamais. je ne sais pas pourquoi, en écho à ce texte sublime, je voudrais te livrer ces mots d’un sage, Chogyam Trungpa : « La voie du guerrier nous pose un défi : nous devons émerger du cocon et nous aventurer dans l’espace, en faisant preuve de vaillance et de douceur à la fois. » Ah oui, sinon, pour l’écriture, Camille : n’arrête jamais…

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  2. Lire. Et dévorer. Etre là, toujours ce même plaisir, ce ru découvert, ces flots qui jaillissent, cette rivière qui nous emporte…Bravo. Personnellement, j’aurais orthographié « cambrer les reins, dresser les seins » mais c’est ouvert à discussion…

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    1. Hey, hey ! Toujours ravie de te voir passer, mon cher !
      Alors, Maître Capello, pour ton petit point d’orthographe, je répondrais que je persiste à préférer celle-ci à celle-là. A l’infinitif, la formule devient un ordre ou un conseil, on entend « voilà ce qu’il faut faire ». Alors que là, le ressenti voulu est « voilà où on en est », c’est plus un constat. Bon, je ne sais pas si je me fais bien comprendre, en tout cas, la discussion est possible, mais oui, bien-sûr, quand tu veux, ya pas d’lézard, mais quand même : c’est moi qui décide ! 😉

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