Celui qui croyait que le mot allait l’épingler. Comme un papillon. Les ailes entravées, plaquées, et le torse transpercé d’un aiguillon d’acier, de part en part, à l’endroit du cœur. Impossible de s’échapper, juste bon à être regardé. Celui là en avait si peur qu’il détournait la tête en l’entendant, se mettait à siffloter, même pendant l’étreinte, celle qui nous tenait si fortement enlacés. Peut-être que le mot lui faisait mal à l’âme, je me disais. Et je ne veux pas le blesser. Alors j’avais renoncé. Toute flétrie à l’intérieur de tous ces mots que je n’avais pas le droit de prononcer.
Celui qui pensait que le mot était ridicule. Trop commun, trop étroit, galvaudé, vraiment minuscule. Pas adapté à notre histoire démesurée. Des mots partout, d’autres, des milliers, des beaux, des inventés. Mais pas celui-là, non, celui-là jamais. Il disait : tout te donner, tout et plus encore, alors est-ce que ça peut faire du tort ? Entre nous c’est si puissant, si intense, si étonnant… Il riait. A gorge déployée. Je t’en donne d’autres, il ajoutait, bien plus jolis, bien plus fous, merveilleux, rien qu’à nous. Oui mais voilà… Après tout ce temps, au bout du long chemin, à la fin de la magnifique randonnée, j’ai pas eu droit au sommet. Toute chagrine à l’intérieur de ce goût d’inachevé.
Celui qui recevait le mot comme une menace et le lançait comme un reproche. Seulement pendant la colère, seulement pour justifier la sale guerre, celle qui enferme les êtres chers. Reste là, ne t’en va pas, ne vis rien sans moi, je t’interdis, j’ai le droit puisque j’ai dit, j’ai dit le mot, et tu l’as dit aussi. Celui-là s’en servait comme d’une arme, celui-là croyait que le mot faisait office de cadenas, et que l’amour c’est de garder près de soi. Qu’importent les larmes. Toute enragée à l’intérieur de voir le mot si durement sali, détourné, dépouillé de sa beauté.
Celui qui avait juré de ne donner le mot qu’à la porteuse de l’alliance. Contournait l’obstacle par côté, grugeait, louvoyait, à coup de synonymes et d’à peu près. Pensait s’en tirer à peu de frais. Un temps sourire de l’énormité, et puis s’en lasser, peu à peu se détourner. C’est pas un mot qu’on réclame, c’est un mot qu’on espère. Le silence en face, à force, laisse des traces, des crevasses, de sombres cratères. Des instants de vide qu’on cherche à oublier. Toute déçue à l’intérieur d’avoir été flouée, inutilement frustrée, insidieusement humiliée.
Celui qui mitraillait en permanence, sur tous les tons, en tous lieux, en toutes circonstances, vidant ainsi le mot de son essence. Une ritournelle entêtante, une mélopée vaguement agaçante. Comme un met délicat si longuement mâché qu’il en perd sa saveur, sa texture, et qu’on voudrait le recracher. Un chapelet interminable qu’on finit par exécrer, la sublime prière n’ayant plus de secret en perd de son attrait, sans surprise, monotone, insipide. A rejeter. Toute contrariée à l’intérieur d’avoir perdu le goût à force d’être gavée.
Peut-être un jour, celui qui sait.
C’est un magnifique texte véritablement ! Vos mots ont tellement d’ampleurs que c’en est foudroyant ! J’adore !
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Toujours heureuse d’avoir provoqué une émotion chez un lecteur… merci d’avoir pris le temps de me le faire savoir, et n’hésitez pas à lire mes anciens textes, certains vous plairont peut-être ! À très bientôt.
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Très beau texte, l’un des meilleurs que j’ai lu de vous. Je reviendrais le lire, comme les chocolats. La première fois pour en découvrir la saveur, la seconde pour le savourer.
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Vous êtes toujours le bienvenu ! 😉
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