En décembre, il y a eu un drame dans ma classe. Un vrai de vrai, une tuile abominable, un coup de massue sur la tronche : le père d’une de mes élèves est mort. Ceux qui me suivent sur Facebook ont lu déjà un billet sur le thème, un billet extrêmement douloureux : c’était dur, très costaud à surmonter, on s’est serrés les coudes dans la classe, autour d’elle, les autres gosses et moi. On a soutenu du mieux qu’on a pu cette princesse à fossettes qui n’aurait pas dû avoir à vivre ça…
Et voilà, on a passé quelques semaines, et la gamine se remet doucement, sa maman également, et on parle on parle on parle, mais pas tant, parce que parfois, il vaut mieux passer aux adjectifs qualificatifs, aux seigneurs du Moyen Age, ou faire des multiplications, ça évite de ressasser. Il y a de brusques montées de larmes, et des appels au secours du menton qui tremble, d’un coup. Je l’accompagne comme je peux, elle dit facilement et spontanément son chagrin, sa colère, son incompréhension. Elle rit beaucoup, parfois trop, ça sonne forcé. Elle se débat pour continuer, tant bien que mal, et elle s’en sort drôlement bien, au bout du compte.
L’autre jour, au moment de sortir en récré, elle s’est plantée devant moi, les mains sur les hanches et elle m’a dit : « Dis donc, maîtresse, on va en faire quoi de mon cadeau de la fête des pères ? ».
Les questions fondamentales viennent toujours dans les moments qui paraissent impromptus, entre deux trucs réglés, dans les interstices de temps informels, bref quand on ne s’y attend pas forcément. J’ai proposé plusieurs solutions, dont celle de le poser sur la tombe.
– Ah non, a-t-elle dit, la tombe de papa elle est dans le village de chez mes grands-parents, ils vont vouloir être là, et puis ils vont pleurer et tout, j’ai pas envie.
– Oui, je comprends… Tu peux peut-être le mettre dans la boîte à souvenirs dont tu m’as parlé ?
– Ah oui… oui, bonne idée… avec les autres cadeaux d’avant…
– Tu peux aussi l’offrir à quelqu’un que tu aimes, ou le garder pour toi, ou ne rien fabriquer du tout et tu feras autre chose pendant que tes copains feront ça… En tout cas, on en parlera, tu prendras une décision toi-même, mais je ne te laisserai pas te dépatouiller toute seule avec ça, ne t’inquiète pas.
Apparition du sourire et des fossettes, pétillance des yeux, haussement de menton rassuré, « ok » de clôture du sujet, demi-tour et galopade effrénée vers la récréation, oubli momentané du souci.
Je fais comme je peux pour accompagner son deuil, avec ce que je suis, avec mes propres angoisses et mes débordements d’émotion. C’est pas tout le temps facile, et je ne suis pas sûre d’être toujours à la hauteur. Je ne suis pas sûre d’être tout le temps dans mon costume professionnel, surtout. Mais quoi… on ne m’a pas préparée à ça, je fais ce qui me vient du cœur, des tripes, et je la couvre d’un regard affectueux, je la serre dans mes bras quand elle craque, et ça, je me demande si c’est mon rôle… Seulement voilà : je ne peux pas faire autrement, parce que je ne sais pas comment faire autrement.
Cela m’évoque des souvenirs tristes dans ma classe aussi. Une maman qui ne s’est jamais réveillée: une nuit éternelle. Il a famlu comme toi, parler, accueillir, être attentive. Car au delà de l’enfant qui avait perdu sa maman, cela éveillait chez certains des angoisses: la possibilité de perdre sa maman.
Courage à toi et que cette petite fille puisse malgré tout prendre son envol.
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Exactement… Gérer les angoisses des autres a été compliqué. Mais très fort pour ce groupe classe aussi, qui est très soudé.
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La vie n’est jamais une préparation ; juste très souvent une réparation.
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C’est joli… 😉
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Il n’est pas impossible de faire du « Beau » avec du « moche » ! [déformation professionnelle et …personnelle 😉 ]
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Je crois que le rôle c’est faire ce qu’on peut parce qu’on peut pas faire autrement. Et ya pas d’âge pour ça, on n’est jamais préparé (et je parle pas de préparation à l’Iufm ou à l’Espe).
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Bien sûr, aucune préparation n’est possible, si ce n’est la vie elle-même.
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