Ma vie ma bobine emmêlée mon sombre bordel

 

Voici un texte écrit dans le cadre du défi écriture « L’agenda ironique », dont vous trouverez le règlement en cliquant ici, le thème choisi en ce doux mois d’avril est « Suivez le fil ». Et , vous pourrez déposer vos textes jusqu’au 17 avril si la plume vous démange, lire ceux des autres participants et voter jusqu’au 24 avril pour votre préf’ chez Carnets Paresseux le Grand (profitez-en pour visiter son blog et ses textes, que du bonheur !). Ceux qui n’ont pas de blog sont aussi les bienvenus, d’après ce que j’ai pu comprendre. 

Et voici maintenant mon texte, bonne lecture !

Quand le nœud s’est présenté, j’ai d’abord cherché un fil qui dépasse.

Tirer dessus légèrement, voir ce qui se passe.

C’est toujours comme ça que je m’y prends quand ça s’embrouille dans ma vie. Une bonne grosse bobine d’emmerdes, ça laisse toujours un bout qui pend, qu’on attrape délicatement, en ne perdant pas de vue le bourbier dans son ensemble. Entre le pouce et l’index, tout doux, tout doux, on dégage le premier amas de galères, on l’extraie avec minutie de l’imbroglio qui l’entoure, on isole du reste, on s’occupe de la première fournée de problèmes, le haut du panier de ce qui semble inextricable. Après ça vient tout seul, parfois, ou pas. On peut dégager d’autres petits fils, soumettre à l’insoluble quelques débuts de dénouements, séparer les plus gros paquets, les isoler de la pelote entière pour les reluquer de plus près. Parfois, il faut secouer un bon coup, et comme par magie, l’indémêlable se libère. Une bonne grosse colère, par exemple, ça peut servir. D’autres fois il faut jouer subtil, par petits crochetages délicats, ici et là, et prendre la mesure de l’enchaînement d’événements que ça entraîne.

Voilà.

En gros, c’est le premier fil qui compte. En gros, ma vie, c’est une pelote avec des nœuds dedans et dehors. En suivre le fil n’est pas chose aisée. Mais je m’en sors. Il suffit de composer. Tirer le bon fil au bon moment, c’est tout un art. Je ne laisse rien au hasard.

Là, j’admets, je n’ai rien vu venir. Et puis, quand il s’est présenté, putain de nœud, il m’a donné un goût de déjà vu.

Quoi tu me quittes ? Quoi tu t’en vas ? N’importe quoi… Je ne te crois pas. J’ai attrapé le premier fil, le plus évident, l’incrédulité, l’énormité de la décision annoncée. Il me semblait le plus enclin à démêler le reste. Le regard tendre, l’amour qui luit, juste pour elle, elle ne résistait pas, autrefois. Elle a ricané. Ma valise est prête, elle a dit, tu ne me retiendras pas.

J’ai tourné le gros nœud entre mes doigts, j’ai chopé un morceau qui dépassait de l’autre côté. Le doute. Que feras-tu sans moi ? Qu’est-ce que tu deviendras ? Et moi ? On est les deux doigts, rien l’un sans l’autre, rien toi sans moi, moi sans toi, on se chante les chansons et on y croit, à fond. N’oublie pas.

Pas eu le succès escompté. Le gros nœud n’a rien lâché. Le regard affligé de celle qui heurtait de ses talons le plancher de notre salon. Justement, je veux vivre pour moi, elle disait, pour moi pas pour toi, on s’est gourés, les chansons de nos amours sont bidons, on s’est leurrés et il n’y a rien à regretter.

Fil numéro trois. Faut pas se louper sur celui-là. La menace. Si tu pars… Laisser les points de suspension. Laisser le choix à l’imagination. Les talons ont stoppé leur course folle. Le silence pour réponse, le regard devenu dur, les épaules qui montent, le menton avec, le mépris qui guette. Mauvais fil, je me suis dit, mauvais choix. Vite choisir une autre voie.

Donner raison, accepter les compromissions, tenter le fil de l’humilité, lui donner à penser qu’elle va me regretter, moi qui sais si bien comprendre où le bas blesse, sentir qu’il est temps de donner du mou à la laisse. Va, je dis, va prendre l’air de moi. Réfléchis tranquille, prends ton temps, je t’attends. Epanouis-toi, mon Amour, explore ta vie, je t’accompagne de toutes mes forces, puisque tu souhaites aujourd’hui briser l’écorce. Elle secoue un peu la tête. Un dédain glaçant flotte dans ses yeux clairs.

Ensuite elle me sourit de travers, elle va chercher sa lourde valise, toutes ses affaires, elle enfile son manteau, s’arrête devant moi, me regarde de haut. Je vois bien qu’au fond de ses pupilles, aucune lueur d’espoir ne brille. Peu à peu, de notre histoire, j’ai perdu le fil.

Elle penche la tête, ses cheveux coulent le long de ses joues. Elle me dit juste ça y est, je suis prête, je file…

J’ai la pelote sur les genoux. Et du temps de solitude pour en venir à bout. Je tire le premier fil que je vois, culpabilité. Je crois qu’elle a raison : je suis vraiment trop con.

Le deuxième qui se présente, tentative de remontée. Une de perdue, dix de retrouvées.

Un autre pend de ce côté mollement, un qui m’amène à l’accablement. Je ne vaux rien, incapable d’aimer.

Celui qui dégage inopinément une kyrielle de nœuds bien cachés jusque là, rage, colère, mauvaise foi. Elle peut bien se tirer, j’en ai rien à carrer.

Bien planqué, un que je peine à extirper, qui résiste, mais qui existe, la dérision. Je regarde ma main droite, t’es contente ma belle, tu vas reprendre du service ?

Le dernier qui s’offre à moi, l’ultime. Le nécessaire pour s’extraire. Du bout des doigts sur l’écran de mon smartphone, les copains, les poteaux, t’es là ma caille ? Tu viens fêter mon célibat ? On s’met la tête comme autrefois. Hey, t’sais quoi ? Si tu veux tu peux dormir là…

J’ai balancé la boule de nœuds et ses fils qui pendouillent. J’ai poussé le tout sous le tapis, j’ai oublié mon sac d’embrouilles, joué un temps les arsouilles. Et puis j’ai repris le fil de ma vie, ma bobine emmêlée, mon sombre bordel, le fil d’une vie qui est juste la mienne.

40 commentaires sur « Ma vie ma bobine emmêlée mon sombre bordel »

  1. Ca alors, je t’ai complètement loupée, de chez Loupé ! Je vais revoir tout l’agenda au pied de la lettre pour en démêler les fils comme tu le fais si bien dans ce texte fort bien ficelé et qui démêle à peine les nœuds gordiens des sentiments. Bravo pour cette couronne bien méritée. Et je m’abonne à ton blog de peur de te louper encore.

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  2. Pendant une moitié de délectation textuelle, j’avais commentaire prompt à bondir du genre « Un pull de perdu, dix de rachetés » que je trouvais fort à propos d’autant que le commerce extérieur du cœur si bien décrit ici et si souvent en déficit, peine toujours à redresser la barre ; à ce sujet, main droite ou gauche, n’en doutons, c’est un leurre, tout au plus une subvention publique, cela ne fait que cacher la forêt perdue et ne compense en rien les heures passées à entretenir vaille que vaille les semis.
    Usitée plus haut, la maxime « 1+10 » n’a plus d’argument de vente recevable aussi me contenterai-je d’un « Y-a-t’il maille qui m’aille ? »
    Ah oui, au fait ! Splendide !

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  3. C’est toujours un plaisir quand tu décides de participer à « l’agenda ironique » ! Précis, fouillé, sensible, percutant, ma boite à éphithète sera vide avant que je puisse dire la moiité de ce qu’il faudrait dire de ton récit 🙂
    La suite, et vite !

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  4. C’est des talons qu’ont pensé qu’elle claque, la belle envolée. Mais dans quel nœud t’es-tu donc fourbi ?
    C’est diablement bien dé-mêlé, dé-coiffant, dé-tapissant, tout ça, tout ça ! (Dé-glapissant je devrais même dire !) 😉
    J’ai super adoré lire ton fil d’avril, Camille. Jubilatoire.
    La suite, ce serait la réconciliation sur l’oreiller…

    Aimé par 1 personne

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