Y’a des jours… faut laisser pousser ses oreilles.

Je ne sais pas ce qu’il y avait dans l’air, aujourd’hui, mais c’était un jour à parler. Il y en a, des comme ça, des jours où la grammaire, on s’en balance, on veut juste dire à maîtresse un truc important, un machin qui nous retient dans la classe quand les autres galopent déjà dans la cour. Les mains se tordent, les yeux m’appellent, je m’accroupis : « Ben, qu’est-ce qu’il y a ? T’en fais une drôle de bobine… »

– Tu sais, maîtresse, l’orthophoniste, elle a dit à papa que j’aurais sans doute un ordinateur en sixième.

-Oui, c’est ce qu’on s’est dit, quand on s’est parlées au téléphone… Qu’est-ce que tu en penses ?

Les mains s’agitent, les yeux cherchent partout, elle ne sait pas trop, ma petite dyslexique, ce qu’elle en pense.

-Maman, pourtant, elle a dit qu’à l’oral, j’étais super forte.

-Je suis totalement d’accord avec maman, tu réussis très, très bien. L’ordinateur, ce sera seulement au collège, dans deux ans, pour te soulager de l’écrit.

-Oui, mais moi, je voudrais encore me battre avec l’écriture.

Voilà, elle a dit ça. « Se battre ». Cette gamine, elle lutte. Elle lutte avec une énergie dingue, elle ne lâche rien, elle est toujours de bonne humeur, elle lève la main à longueur de journée, en faisant : moi, maîtresse, moi, moi ! parce qu’elle veut lire, à haute voix, alors que c’est si hésitant, si laborieux, si épuisant pour elle. Chaque mot est un mystère, elle butte, elle mélange les sons, les lettres dansent, elle mouline dans la choucroute, mais elle veut, encore, et encore.  Elle accepte que je finisse d’écrire sa leçon à recopier, mais elle veut en écrire elle-même le maximum, elle m’appelle pour terminer quand elle n’en peut plus, c’est un pacte entre elle et moi. Elle m’appelle et elle guette mes yeux quand je corrige ce qu’elle a déjà écrit, elle aimerait tellement qu’il n’y ait aucune erreur. Je félicite, à chaque fois, je dis « bon sang ce que tu progresses ! », et elle se dandine, toute souriante, toute fière.

Le premier qui dit que l’enfance est un âge où on n’a pas de soucis, où tout est tranquille, où on a à se préoccuper de rien d’autre que de jouer, je lui fous mon poing sur la gueule.

A part ça, Najat m’a écrit. J’ai trouvé ça sympa. Elle est contente de nous, l’école primaire, elle n’est pas que primaire, dit-elle, elle est primordiale. Alors pof, elle nous donne une prime. Une prime de primordialité, quoi… C’est cool. La première prime de ma vie.

 

7 commentaires sur « Y’a des jours… faut laisser pousser ses oreilles. »

  1. C’est seulement maintenant que certains prennent la mesure de ces problématiques-là, dyscalculie, dysorthographie, dyslexie. Et il faut qu’au secondaire (12-18 ans chez nous), les profs soient aussi conscients de cela. Une dictée même préparée à la maison, du mieux possible, sera un échec en classe avec le stress de l’interro pour ce genre d’enfants. C’est pourquoi des méthodes existent (l’ordinateur en est une) pour les aider. Heureusement, on progresse afin de ne plus les pénaliser comme on l’a toujours fait par le passé. Mais tous les profs sont-ils au courant ? Ca reste dur pour les enfants différents, quelles que soient les différences…

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    1. Une dictée, même préparée, même sans stress, même avec toute la bienveillance du monde, est une épreuve pour eux. ça ne signifie pas qu’il ne faut pas en faire, mais il faut aider, soutenir, épauler, guider, au fur et à mesure, et quand on a 30 élèves, dont 6 ont ce genre de besoin, sans compter ceux qui ont d’autres soucis, bien-sûr qu’on finit par être moins souriants… Et puis il faut reconnaître que le mot DYS est sorti à tout va, et que parfois, c’est une bonne excuse pour ne pas faire d’effort. On ajuste nos remarques, nos aides, sans cesse, et on se trompe parfois, et même souvent ! Bref : on n’est pas des robots, on n’est pas des magiciens, juste des humains, imparfaits et sensibles.

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  2. Elle est formidable, cette minette !!!
    Je partage tout à fait ton point de vue! Je ne suis rien qu’une maman de trois enfants, je ne suis pas instit ni psy…Mais effectivement un enfant a des soucis et cela commence très tôt!
    Imagine t-on, se souvient-on de la fulgurance du développement psychomoteur, et de toutes les angoisses et les interrogations qu’il engendre!?

    Aimé par 1 personne

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