This is the end…

Nous avons quelques rituels, dans notre école. Les vœux de fin d’année font partie de nos habitudes, et les enfants nous les réclament. Il s’agit d’écrire sur un papier les prénoms de trois ou quatre copains avec lesquels ils aimeraient être en classe l’année d’après. Comme nous n’avons que des doubles niveaux, pour la raison simple que certaines promotions plafonnent à 35 inscrits quand d’autres années ne nous ont apportées qu’une petite quinzaine de mouflets, il faut bien équilibrer les effectifs avec chaque maîtresse, donc on a beaucoup de mal à faire des classes à niveau unique.

On répartit tout ce beau monde pour équilibrer les classes futures en terme de niveau scolaire (hétérogénéité requise), comportement en classe (agité/calme, il faut de tout), filles/garçons, et donc aussi, ça nous tient à cœur : affinités. C’est un joli chantier, on se prend bien la tête, et il faut le faire avant de partir en vacances, afin que chacune s’en aille avec la liste de ses élèves et puisse préparer des trucs quand elle le souhaite pendant ses congés.

Les vœux se font à bulletin secret, afin qu’aucune pression ne soit possible (je les connais, les petites perfidies du genre : « tu me choisis sinon je t’invite pas à ma soirée pyjama » !) donc, ils viennent un par un à mon bureau et remplissent le petit papier qui ne sera vu que de moi. C’est très cérémonial, j’adore…

Un loustic très agité a écrit trois prénoms à toute vitesse, des copains de foot, de galopades, de rigolades, puis il a levé les yeux vers moi : « J’ai droit à quatre ? ». Oui, oui, quatre. « Alors je vais mettre Unetelle (petite fille trèèèèèèès discrète, voire éteinte), parce que elle, elle bavarde pas, et je travaille mieux à côté d’elle. »

Gus s’est approché, a écrit ses vœux et m’a postillonné à la figure : « On peut choisir la maîtresse aussi ? ». Ah… non, Gus, non, on ne choisit pas sa maîtresse. Ses yeux sont grands ouverts sur son inquiétude, sa salive abondante affleure sur ses lèvres, signe de très grand nervosité : « Mais maman a dit que je serai avec toi, tu lui as dit quand tu l’as vue…. » Non, Gus, j’ai dit que c’était possible, mais pas sûr, on ne le sait pas encore, mon grand, mais ne t’inquiète pas, tu seras bien avec toutes les maîtresses parce que tu es formidable.

Ma petite dyslexique a écrit Maroin et Gacate.  J’essayerai donc de la mettre dans la même classe que Marion et Agathe.

Une autre est restée un long moment à réfléchir, et a fini par écrire Ça mais tégal, j’aime bien tout le monde.

Jean de la Lune a écrit le prénom d’un enfant qui déménage et sera donc dans une autre école à la rentrée prochaine. Je vais avoir du mal à le satisfaire.

Princesse à fossettes s’est approchée, a écrit ses vœux, mais je voyais bien que la malice qui remplit habituellement son regard n’y était pas. Qu’est-ce que tu as, ma grande ? « Dis-le moi, maîtresse, est-ce que je passe en CM1 ? Parce que tu sais, maman elle dit que si je ne sais pas mes tables, je passerai pas, et papa aussi il disait toujours que je passerai pas… » Je souris, je relève sa frange qui tombe dans ses yeux : Tu penses que j’attendrais le dernier jour pour te faire cette mauvais surprise ? Elle secoue la tête, ben non, ah, non, c’est vrai… Je poursuis : bien-sûr que tu passes, tu as bien travaillé, tout n’est pas parfait mais la perfection ça n’existe pas, maman sera fière de toi, et papa, s’il était là, serait fier de toi lui aussi. Je lui ai aussi dit que ce n’est pas parce que les élèves quittent ma classe qu’ils ne m’intéressent plus. La preuve, les grands du CM2, parfois, viennent me faire lire ou me montrer un truc qu’ils ont particulièrement bien réussi, dont ils sont contents, c’est une autre de nos habitudes dans l’école : ils toquent à la porte de leur ancienne maîtresse, encouragés par celle de l’année en cours. On aime bien ces mouvements, ces partages, cette manière de faire du lien. La gamine acquiesce en souriant, rassurée, un peu troublée, pas totalement sereine : on a vécu un truc particulier, elle et moi, c’est dur de se quitter…

C’est dur de les quitter. C’est dur d’en finir, chaque année… Le premier jour des vacances, je me sens toujours bizarre, partagée entre l’immense bonheur d’avoir deux mois devant moi pour profiter des miens, écrire, voyager, prendre des photos, faire la fête, ne plus avoir de devoirs, et une sorte d’accablement, un micro deuil, la sensation d’être désœuvrée, d’avoir oublié un truc essentiel. Mon compagnon appelle ça le syndrome « fin de colo », il me supporte dans ces moments-là avec patience, parce que je reconnais : je suis super chiante.

galette des rois

Le jour des galettes des rois (couronnes à la manière de Yayoi Kusama).

16 commentaires sur « This is the end… »

  1. Comme je te comprends. Pour moi, s’ajoute que j’ai des élèves pendant deux ans et j’ai aussi des CM2. Quelquefois, c’est dur pour certains CM2 de quitter l’école…

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    1. C’est dur de voir partir en sixième des petits à qui on a appris à lire… Mais leurs sourires, leurs petits mots gentils, leur bonheur déjà nostalgique et tout rempli de l’excitation de passer au collège, leur visite, après, aussi, tout ça c’est de la vie qui bruisse, on y est pour quelque chose, et c’est drôlement bon !

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  2. On dit que les bonnes choses ont une fin, et puis elles auront un éternel recommencement dès la rentrée.
    Pour toi un peu de temps libre pour farnienter au pieux avant de ne lire, regarder que là où tes yeux voudront bien se poser et te ressourcer dans un torrent d’eau froide en pleine montagne. 😉

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        1. Tu m’étonnes… C’est dur, de tout enlever pendant que les enfants sont encore là ! C’est une chose que je ne fais pas, mais peut-être que le retour dans les locaux est impossible avant la rentrée, peut-être que c’est la mairie qui l’exige pour repeindre, ou nettoyer ? On a parfois des contraintes ignorées du public, il faut y penser…

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          1. oui, enfin je ne sais pas comment ils font le classement des enfants, mais ils ne demandent jamais l’avis ou les suggestions comme vous faites aux enfants … sauf que je souviens, que dans l’école de mon plus jeune, il y avait un handicapé (paralysie cérébrale) et le professeur a vue qu’il travaillais mieux, était plus heureux quand il était avec mon fils, alors pendant toutes les années dans cette école, ils ont été placé ensemble

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            1. Oh, je crois que c’est assez rare ici aussi… Disons que dans notre école, où ils sont toujours partagés en deux groupes de dix/quinze et mélangés avec des plus petits ou des plus grands, ça nous paraît important, et réalisable, de leur faire émettre des vœux. On insiste bien sur le fait que ce sont des vœux, pas des choix ! Nous restons décisionnaires et on sépare volontairement, parfois, des petits qui ne se font pas forcément de bien en étant ensemble. Pour ça aussi, on essaie de faire pour le mieux ! 😉

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                1. Au Quebec ? Je suis abasourdie… Je pensais que vous étiez plutôt proche de la Suède ou de la Norvège, en matière d’éducation ! Je croyais ça parce que le Québec est considéré comme très performant en terme d’avancées pédagogiques.
                  Je reste convaincue qu’on peut avoir la meilleure pédagogie du monde, si l’effectif classe dépasse la vingtaine de bambins, on saupoudre, on plaque, et on ne peut pas être au plus près des besoins de chacun, c’est mathématique. On en laisse sur le bord, on crée des inégalités, et je ne peux pas admettre ça…

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