Impossible de la mettre au boulot. Cette gamine est dans la fuite permanente, elle tourne, vire, trouve mille excuses pour ne pas démarrer son taf, part en rêverie dès que j’explique un truc à la classe, tressaille violemment si je l’appelle, si je l’interroge, cherche frénétiquement sur son cahier la réponse à la question que j’ai posée mais qu’elle n’a pas captée, totalement en panique, en balançant les jambes à toute vitesse sous sa table. Au moment de passer à la phase individuelle, elle se met à lorgner sur le cahier de sa voisine à s’en décrocher l’œil… Elle est en CE1. Déjà l’année dernière, sa maîtresse l’avait isolée parce qu’elle copiait toujours. J’aime pas trop, moi. J’aime pas trop isoler de toute façon, et quand je le fais, je demande généralement au gamin si par hasard, il n’aurait pas envie d’être un peu seul. C’est vrai, parfois, on en a plein le dos des autres, il vaut mieux se mettre à l’écart, préserver un peu son espace vital, on en a besoin (la collectivité, son brouhaha, ses coups de coudes, ses odeurs, ses micro-agressions involontaires mais répétées, de 7h30 le matin à 18h, vous imaginez ?) Je propose et c’est lui qui décide, et généralement, il dit « oui, oh oui, maîtresse, s’il te plaît, mets moi tout seul, j’en ai marre des autres… » (Là je ne parle pas des cas d’emmerdement suprême où l’adrénaline me monte d’un seul coup dans le bide et me pousse à envoyer manu militari le gosse chez ma collègue d’à côté, histoire de le sortir de mon champs de vision… ça arrive aussi, croyez pas !)
Bref, je reçois la maman, et elle m’explique un peu ce qu’elle ressent de la scolarité de sa fille. La petite est persuadée d’être « nulle », dit-elle, bloquée dans l’idée que c’est difficile, pas marrant, insurmontable. J’approuve, cette enfant n’a pas chopé le plaisir d’apprendre les notions scolaires, c’est évident. Pourtant, dès que je m’assois près d’elle, que je lui réexplique pour elle toute seule, qu’elle est coincée et obligée de se concentrer, elle comprend tout immédiatement et son visage s’éclaire : « aaaaaahhhh… ouuuuaaaaiiiis, d’accoooooord !!! » dit-elle en souriant. La maman dit qu’elle pense lui avoir trop mis la pression en CP : elle ne savait pas, c’est sa première, elle croyait qu’il fallait savoir lire en Décembre sinon c’était très mauvais signe (au passage, merci les médias de relayer ce genre de conneries). Et puis… elle ne devrait pas, elle le sait, c’est vraiment pas bien, mais c’est plus fort qu’elle, elle compare la gosse avec sa petite sœur. Ben oui, la petite est super autonome, elle fait tout pim pam en un rien de temps, tandis que l’aînée rame, traîne, tournicote… en un mot elle résiste.
C’est ça, ai-je dit : évitement, résistance, peur de l’échec, ennui. Bon… Le matin même, en arrivant, la gamine m’avait ouvert son cartable sous le nez pour en sortir un énorme doudou qui occupait toute la place. Ok. Message reçu 5/5 ma puce… Dur de grandir, peur de grandir, chiant de grandir…
On a pris une décision, avec la maman. On va lui permettre de régresser pour certaines choses si elle en a besoin. On va davantage respecter son rythme naturel, plus lent peut-être, cesser de la tirer tout le temps, la laisser respirer à sa façon. On va cibler nos exigences, à la maison comme à l’école. La soulager de ce qui lui pèse. Valoriser à mort ses réussites, quitte à mentir un peu, quitte à en rajouter. On va la laisser revenir doucement vers de meilleures dispositions vis à vis du savoir. Et puis, comme elle est placée à côté d’une enfant qui a souvent besoin d’aide mais qui est au contraire très active, très volontaire, lui dire que je compte sur elle pour redire les consignes si besoin, pour expliquer. La placer en position de tutrice, en somme. La responsabiliser.
Le lendemain matin à l’accueil, le papa s’est approché de moi pour la première fois depuis la rentrée. Il a le même regard espiègle que sa fille, les cheveux ébouriffés, la démarche sautillante. On sent qu’il doit aimer les bagarres de chatouilles et que son costume de boulot l’étouffe un peu. Il me sourit avec malice : « Ma femme m’a tout expliqué, dit-il en me faisant un clin d’œil, je vous souhaite une très bonne journée. »
Respecter le rythme naturel des enfants…cela me laisse souvent songeuse avec notre système. Quelquefois, je me laisse emporter par le désir d’uniformiser mon groupe…mais non, bien sûr que non, ce n’est pas ça la solution. Mais après moi, il y a le collège…Pfff, respecter le rythme naturel des enfants…
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Au collège aussi, il y a des tas de profs attentifs, qui différencient et s’inquiètent, qui s’interrogent et posent le plaisir d’apprendre comme base de tout… Mais c’est vrai, plus on avance en âge (en âge des enfants, je veux dire), et moins on se sent libres de les laisser grandir à leur rythme. Nos collègues de maternelle ont bien de la chance !
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zen, ..et abnégation. N’est-ce pas la double mamelle de l’éducation ?
façon patience et affection,
la-confiance en transmission,
ainsi la garantie d’une vie, ni réservée, à peine mesurée, pleine d’acquis et de fierté.
(en gros) ni rien ne m’empêche de le redire: « mucho respect dear Camille »
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L’abnégation dans mon métier, c’est surtout d’accepter que le fruit de nos efforts mûrisse pour les années à venir, on en voit rarement les effets… et on ne sait pas trop si on a pris le bon chemin. Je ne parle pas des acquis strictement scolaires, qui sont eux très visibles, mais de ces mouvements affectifs qui font un élève apaisé ou tendu. Heureusement, on communique beaucoup dans notre école, alors le devenir de nos anciens élèves parfois nous apparaît, mais pas toujours. On espère ne pas trop se tromper, on essaie de ne pas juger, on fait pour le mieux en tâtonnant chaque jour. C’est à la fois passionnant et très frustrant ! Merci à toi, Jak.
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j’espère du succès pour cette enfant …
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On fait tout pour ! 😉
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