Ma fille m’avait offert pour Noël le dernier prix Goncourt. Après deux mois d’attente tout en haut de ma PAL, j’ai fini par m’y plonger. Tout doucement… Au rythme lent des berceuses d’enfants… J’avais besoin de faire des pauses. De nombreuses pauses. Parce que… quand le texte cogne, on a besoin de reprendre son souffle fréquemment. Et là, ça cogne sévère.
Le roman démarre par le meurtre des enfants, plus exactement par les événements qui suivent immédiatement le meurtre des enfants par la nounou : les secours, la police, la maman qui débarque au cœur de son cauchemar, les badauds, la description de la scène du carnage… Donc on sait, d’entrée, que cette nounou va trucider ces petits, que le drame aura lieu. On ne l’évitera pas, il est posé dès la première ligne du texte, dès le premier chapitre. Ensuite, on reprend au début, environ deux ans plus tôt, l’entrée de la nounou dans cette famille, les rouages relationnels, les injustices sociales cyniques qui amènent lentement, lentement, au drame. Lentement et inexorablement. Comme une chanson douce. J’ai posé le livre après la dernière ligne lue à regret. J’ai mouliné pendant des heures. Je n’oublierai jamais cette histoire, je le sais déjà.
Le couple appartient à une classe sociale aisée, suffisamment pour pouvoir embaucher une nounou à domicile, mais pas assez pour avoir l’habitude d’être dans le rôle du patron. Ils touchent du doigt la difficulté à commander, exiger, ils s’inquiètent de leur maladresse, de l’humiliation pernicieuse qu’ils pourraient générer malgré eux. Ils se fourvoient quelquefois, mais avec la meilleure volonté du monde : ils sont bienveillants, tolérants, ils respectent leur nounou, vraiment, du fond du cœur, ils ont de l’affection pour elle, et aussi de la compassion… ou peut-être de la pitié ? La nounou, elle, est particulièrement rigoureuse, consciencieuse, très attachée aux enfants, très attachée à cette famille. C’est une pointure en matière d’éducation, d’hygiène, de cuisine, c’est une spécialiste qui est sûre d’elle-même et de ses qualités professionnelles. Alors ? Qu’est-ce qui déraille ? Qu’est-ce qui amène tout ce beau monde, tous ces personnages pourris de bonnes intentions à se haïr, et à déconner à ce point ?
La brutalité de notre monde, les préjugés contre lesquels on lutte mais qui nous minent, nous rattrapent, nous enferment, nous broient, s’insinuent partout, malgré nous… et quel que soit notre milieu. Les préjugés qu’on subit ou qu’on ressent, malgré nous, contre ceux qui sont de l’autre bord, et qu’on regarde forcément de loin. C’est là la très grande valeur de ce roman, d’avoir su parler de préjugés sans jamais tomber dans les clichés, et de montrer avec cette subtilité éblouissante les dérapages d’une société mensongère qui se targue de démocratie, de justice sociale, et qui fonctionne encore et toujours comme une société aristocratique violente et injuste.
Moralité : En terme d’égalité (ou d’équité, je préfère) entre humains, on n’est pas rendu, mes amis, mais on y réfléchit, c’est déjà pas si mal…
Plusieurs fois que je passe devant ce livre et vous m’avez décidé à l’acheter. Merci !
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Mais de rien, c’est un plaisir ! Dites moi votre avis quand vous l’aurez lu. A bientôt !
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(zippe) .. gouter du souk, d’odeurs, de papotage, de tant « d’humain », de bienveillance, de sourires et d’échanges naturels (!! -normal on dira)
alors, et pour faire court ni patauger dans qql sensibilité, .. oui, elle en chie de voir ce qu’elle voit…
(d’être ce qu’elle est ? ni à moi de répondre, sans même avoir le sentiment de me debiner!)
est-ce que cette ‘histoire’ nous appartient. Ce n’est pas une question !
Oui, Tout nous appartient !
Même l’égoïsme.
C’est ce que je sais (le penser est déjà fait) tu devines mon esprit ‘taquin’ quand pas iconoclaste, alors d’aimer (m’adapter plutôt que la plainte) et bien sûr de rire ! ..surtout avec tous mes contemporain de rencontres (qui d’autres?!) comme une lueur de ‘franchise’ puisque de toutes manières je n’ai aucune faux derchitude en stock.
Ainsi « Mon affection » /qu’importe qu’elle ne suffise pas, .. ja-pas la solution (ou alors c’est mal payé !)
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(ma mariolitude, en effet, est aussi celle qui m’évite de penser -!!- sans! que je cède au cynisme. S’il y a ‘mieux’ je prends)
Ma femme m’accompagne; elle ne connaissait pas « l’Afrique », ..elle en chie un peu /oh pas de chiner, ni de goûter
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(zut! je n’avais pas fini.. mon doigt zippe)
..ce qui n’a rien à voir avec qql manque de considération, respect, affection du petit personnel (pourquoi ‘petit’ ? bref)
peut-être que ‘commander’ est une vocation ? ou plutôt une ‘logique’ de statut, de classe.. l’homme n’est-il pas un loup..
Miaoow 😻
ps, aussi je pense (souvent je rebondis à tes propos; rien d’iconoclaste ni contrariant!) à Colombo.. le seul flic, ou disons son enquête dont nous connaissons dès le début le coupable. C’est déjà ça..
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Bon, alors, pour répondre à ta première question (du premier com’ largué trop tôt par un doigt zippeur), pas question de cesser de lire, bien-sûr, ni de réfléchir, mais je sais que tu fais ton mariole, que tu es incapable d’arrêter de reluquer le monde et de le commenter, donc je ne me fais pas de soucis.
Ensuite, je me suis aussi posé la question de ce rôle de patron, de cette capacité à commander, je crois que là, le problème est plutôt dans l’étalage inévitable de l’aisance financière et affective face à la précarité à tous les niveaux de la nounou. Personne ne souffre d’être « bien commandé », c’est à dire commandé ET considéré. C’est le cas de cette nounou dans l’histoire. Simplement, le spectacle de ce confort facile (confort affectif surtout, et bien-sûr financier, intellectuel, relationnel, etc.) de ses patrons alors qu’elle est depuis toujours dans une souffrance aussi terrible qu’injuste, malgré tous ses efforts et le mérite dont elle fait preuve, devient insupportable. Tout simplement intenable. Il faut que quelqu’un morfle, il faut que quelqu’un meure. Les enfants meurent, les parents vont morfler, mais ce sont des boucs émissaires d’une haine qui se trompe de cible…
Bon voyage, Jak !
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(tiens, je lisais il y a 2 jours: 650 enfants tués cette année en Syrie. Chiffre -de merde- en constante évolution -de merde. Moralité -de merde- dois-je cesser de lire ??)
J’ai lu Leila, mais là (présentement, maghreb côte Atlantique) j’oublie le titre, sinon pour dire, en plus de faire l’intéressant, depuis tout gamin je suis en love de la culture Arabe.
J’ignore la raison (père inconnu?) il n’empêche qu’à ma première (et unique) fugue, 16 ans, je filais au Liban.
De tous mes pays de coeur (!) le Levant mon préféré (ni je suis du matin ! la contradiction est plus sûrement nécessaire que salutaire; ou le contraire ?)
Les ‘expat’ entrepreneurs rencontrés (bcp) me disent tjs là même chose « il faut être ferme avec le personnel », je fais court
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J’ai entendu parler de ce livre. Mais le monde actuel est déjà si violent, j’ai du mal à me plonger dans des bouquins où la fiction ressemble trop à la triste réalité. Merci pour ce post. A +
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C’est aussi ce que m’ont dit mes amies quand elles ont lu ma critique. Dès que j’évoque le meurtre des enfants, elles ouvrent de grands yeux et secouent la tête pour éloigner l’idée. Je pense que c’est aussi la raison qui a fait que le roman est resté deux mois sur mon étagère avant d’être enfin ouvert, et la même raison qui m’a fait choisir Katarina Mazetti pour faire suite : du léger, du rigolo, du sans danger (ce qui ne veut pas dire sans intelligence, « le mec de la tombe d’à côté » et sa suite, j’ai oublié le titre, sont très riches en analyse sociale, faut pas croire, mais c’est un autre registre). Toutefois, Leïla Slimani, à travers ce drame, nous amène à nous interroger sur la société et ses victimes. Toutes ses victimes. Y compris celles qu’on n’envisageait pas en entendant le fait divers aux infos. Moi, j’aime bien quand une lecture me fait grandir…
Merci d’être passé !
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Avec plaisir. Mais comme j’habite dans un pays aux 12-15 000 homicides par an, je suis « sélect » dans mes lectures. 🙂 Bon week-end.
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