J’ai bien fait d’attendre un peu pour écrire ce billet… Depuis quelques jours, depuis que je l’ai vu, le film tourne dans mon esprit et prend de nouveaux reliefs au fur et à mesure qu’il s’installe en moi. Et il s’installe en moi, vraiment. Pourtant, je suis sortie en me disant que celui-là, j’aurais tôt fait de l’oublier…
Ismaël est metteur en scène, il tourne un film sur l’histoire de son frère, qui est vaguement diplomate, peut-être vaguement espion, sans doute vaguement naïf ou au contraire très malin. On verra des scènes du tournage régulièrement, mais on n’en saura pas tellement plus, ni sur le film, ni sur sa raison, ni sur le frère.
Ismaël a vécu un drame, un long drame qui n’en finit plus de le poursuivre : sa jeune épouse a disparu vingt ans plus tôt, on ne l’a jamais retrouvée. Désespéré, au bout des dix ans requis, il a fini par signer le papier qui admet la définitive « absence » de la jeune femme aux yeux de l’administration. Mais il n’a pas de corps à pleurer, c’est un deuil infini et cruel.
Ismaël entretient une relation forte avec le père de la disparue, un vieillard qui a été en son temps un metteur en scène célèbre et admiré. Ce père spirituel lui reproche d’avoir tué sa fille d’une signature en bas d’un papier. Ils partagent cette douleur atroce, et peuvent se dire des choses très dures parce que cette souffrance les lie, ils peuvent la vivre ensemble, elle les tient soudés.
Ismaël rencontre une femme. Il vit une belle histoire avec elle. Une histoire simple qui veut réussir, une chose calme et mature qui semble capable d’apaiser le souvenir puissant de l’amour torturé d’autrefois. Il semble que, malgré l’évident mal-être que traîne Ismaël, le bonheur ait enfin l’idée de lui sourire.
Et ça déraille. Ismaël perd pied. Les personnages, les lieux, les drames, le film qui se tourne, l’écriture malgré tout et tout le temps, les cauchemars qui le broient, le retour inopinée et incompréhensible de la disparue, l’impossible annonce à faire au père, les lignes qui bougent, les querelles, les affolements… tout se mélange, comme dans un cerveau en ébullition qui ne contrôle plus ses pensées, qui navigue en pleine panique, qui frôle la folie. Et au milieu, il y a l’amour fragile pour sa douce et sage compagne, l’amour sincère et beau qui lutte et qui va gagner.
J’ai d’abord cru qu’Arnaud Desplechin… comment dire… avait longtemps limé sans parvenir à éjaculer. Ah oui, je reconnais, c’est cash comme formulation, pardon hein, mais c’est ce qui me vient : trop de chantiers, trop de personnages, trop d’histoires évoquées, croisées, imbriquées, tout nous arrive en même temps sans qu’on puisse vraiment y mettre du sens. Il y a ce faux film dans le vrai film, cette disparue revenue, ces cauchemars épouvantables et omniprésents, la fin du patriarche, et cet amour simple et facile, comme une tâche au beau milieu de toute cette vie embrouillée. Desplechin semble partir dans tous les sens et ne rien achever. Il m’a paru laisser la perplexité prendre trop de place, comme ça arrive parfois quand le réalisateur confie au spectateur la responsabilité de comprendre seul mais qu’il ne lui donne pas les bonnes clés. On se sent alors envahi d’un sentiment de bêtise incurable et très désagréable : J’ai rien compris… Est-ce que les autres n’ont rien compris comme moi ou bien ? Je suis sortie en haussant les épaules et en faisant la moue. Et puis, les pièces du puzzle se sont mises en place gentiment, lentement, dans les heures et les jours qui ont suivis, et j’ai mis du sens après-coup.
Ne pas lire ce qui suit si vous n’avez pas encore vu le film et que vous comptez y aller. Dans ce cas, je serais super contente si vous allez le voir et revenez vers ce billet pour donner votre avis, merci !
Donc je poursuis…
Il me semble que ce film raconte avant tout la lutte d’un homme qui doit rompre avec ses fantômes pour pouvoir entrer pleinement dans l’histoire d’amour de sa vie. Il ferme les dossiers l’un après l’autre. D’abord le frère (le sérieux, dit-il, celui qui a réussi, celui qui voyage partout alors que lui est tellement casanier, le frère admirable, l’autre, quoi…). Puis l’épouse disparue… est-il réel, ce retour ? Ou bien Ismaël est-il victime d’une hallucination qui le pousse à regarder en face cette ancienne et dévastatrice relation ? Il clôt cette histoire du passé qui le hante, pour de bon, pour pouvoir se tourner vers son nouvel amour, et ça se fait dans la douleur. Ensuite le « père à tuer », le modèle inaccessible, dont la fin est imminente. Enfin la conclusion du film. Curieuse et limpide, toute simple, anachronique dans l’image, enfin, c’est comme ça que j’ai reçu cette toute dernière scène.
Je me demande, vraiment, si ma lecture est la bonne. J’y ai vu les délires tricotés de réalité d’un homme qui frôle la folie, et tue un à un ses fantômes avec de grands sursauts terrifiés. Alors seulement il peut investir vraiment une nouvelle vie. Et la vie vient, sur la dernière note du dernier accord, paisiblement.
Bon… Dites-moi si je délire, moi aussi ? 😉
En tout cas, c’est un bel article que j’ai eu plaisir de lire. Je suis du genre à traîner les films derrière moi et de les mener plus loin qu’eux-mêmes, il suffit d’une minuscule porte ouverte (juste pour moi ?) et je m’y engouffre. Pareil pour les romans.
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Tout pareil… bon public, donc, dans un sens. Critique mais ouverte. Merci pour le com’ !
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Tu délires, bien sûr ! 🙂
je n’ai vu que la bande-annonce qui m’a fait l’effet d’un gros machin mélo et plein à craquer de trucs qui vont dans tous les sens. M’a pas donné envie de voir la suite (enfin, le film, je veux dire), et tant pis pour moi.
quand je dis que tu délires, je veux dire que tu es plus maline que Dépleschin, et, qu’à force de neurones et de finsse, tu arrives à sortir de son magma – peut-être pas- pas fini une vraie histoire, sensible et forte ; l’avait-il voulu, l’Arnaud ? On saura jamais. Mais cette histoire que tu y trouves, elle n’appartient qu’à toi. Jusqu’à ce que tu en fasses un bouquin, bien sûr. Et là, çaçra aux lecteurs d’agiter leur neurone pour ajouter leur maille à ton tricot.
bref, tu délires, tu devrais écrire 🙂
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finsse = finEsse, bien sûr !
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Comment ramener la dame sur terre tout en la complimentant superbement… Merci, mon cher, cher, Carnets, merci tout plein ! Et t’inquiète, le manuscrit du roman précédent est dans les mains de l’éditrice (on verra… elle est confiante… mais on verra… jamais la peau de l’ours ne vendra !), le suivant est démarré, me turlupine jour et nuit… je travaille, je travaille !
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Je peux pas m’arrêter de lire ce que t’écris alors j ‘ai tout lu mais je l’ai pas vu … Mais j’ai quand même très envie du coup je te dirais …
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Tu me diras !
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