Pokemon et éducation fondamentale

Au retour de la récréation, hier, il y a eu une discussion assez dense en classe. Normalement, c’était « récitation », au programme. Mais bon, il y a des moments où il faut savoir ignorer son cahier-journal. L’instant était important, primordial même, car les vols, échanges forcés, coups de lattes et basses vengeances autour des cartes Pokemon n’en finissent plus de nous pourrir les récréations, donc : faléksacesse…

Les grands obligent les petits, arnaquent, manient le chantage et le mensonge avec vigueur. Les petits savent parfois profiter de leur statut de petits aux yeux des maîtresses pour filouter superbement (larmes à l’appui). Oui, messieurs dames, ça chaparde, ça met la pression sur le plus faible, ça promet et ça tient pas ses promesses, ça donne d’une main et ça reprend de l’autre, bref, ça s’entraîne à devenir adulte. Je sais, je suis un peu amère, ces temps-ci, la faute aux puissants de ce monde qui sont de très mauvais exemples et comment voulez-vous qu’on éduque les gniards à être solidaires, généreux, loyaux, sincères, quand les humains adultes, censés être des modèles, se comportent comme… comme des… (je vous laisse choisir le mot).

On a longuement parlé de ce qu’on ressent quand on rentre chez soi avec plein de cartes gagnées dans la journée. C’est vrai, c’est super, on est contents, on est satisfaits, qui dirait le contraire ? Mais rentrer avec des cartes gagnées en trichant, en mentant, en faisant peur, ça gâche le plaisir, pas vrai ? Les yeux approuvent, les têtes opinent, ils sont d’accord. Qu’est-ce qui nous rend vraiment fiers alors ? Etre le possesseur de la plus grande collection de cartes de l’école ? Ou avoir été un bon compagnon de jeu ? Ce qui rend fier, c’est de se sentir une bonne personne.

L’un d’entre eux rappelle alors une anecdote du début de l’année. Une pitchounette de la classe avait laissé ses cartes sur un banc, un grand de CM les avait trouvées, prises, échangées comme si elles lui appartenaient… la petite n’avait rien osé dire. Les cartes s’étaient volatilisées, impossibles à retrouver, à reconnaître, à récupérer. La petite pleurait en silence. J’ai fait la leçon au grand, sourcils froncés et narines frémissantes de colère (je suis capable d’accès de rage assez impressionnants, c’est pas forcément super pro, mais bon, on n’est pas des machines, et là j’ai vu rouge), mais j’étais démunie pour rendre son dû à la petite victime. Alors les gosses de la classe se sont cotisés pour lui en donner chacun une ou deux, et quand ils ont fait ça, ils se sont sentis fiers. Allégés de quelques cartes, oui, mais fiers d’avoir été généreux, et d’avoir rendu son sourire à une des leurs.

Je suis peut-être naïve, en plus d’être moralisatrice… non, je suis évidemment naïve, même un peu niaise sans doute, et le prêchi-prêcha est sans doute assez gonflant, pardonnez-moi. Mais je m’obstine à leur donner de ce discours là : ils n’iront peut-être pas placer leurs cartes aux îles Caïmans pour avoir la plus grosse collection de l’univers, âprement gagnée en marchant sur la gueule d’autrui. Ils s’en foutront peut-être de posséder le caveau le plus luxueux du cimetière comme disait mon grand-père. Ils préféreront peut-être se sentir fiers d’être de bonnes personnes.

On peut toujours rêver.

 

2 commentaires sur « Pokemon et éducation fondamentale »

  1. Rêve Parti. J’adhère, pleinement. Et je vous suis dans ce combat, que j’ai mené plusieurs années avec mes étudiants… dans le supérieur 🙂 plus de cartes Pokémon, mais « distribuer les cartes » avec justice et intégrité générait des débats inoubliables , qui ont semé des graines. Des années après, certains ex-étudiants m’en parlent encore. Rien n’est jamais gagné, mais rien n’est jamais perdu et nos convictions font parfois leur fruit dans les jeunes esprits. Courage 🙂

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