Vous êtes nombreux à m’avoir demandé après lecture de mon recueil de nouvelles si j’allais un jour écrire des romans. J’en ai terminé un, déjà, déposé entre les mains de mon éditrice et qui pourrait bien trouver le chemin des librairies à moyen terme. En attendant, je travaille sur un autre, qui m’occupe bien la tête. Il avance doucettement, je ne le brusque pas, je le laisse se construire sans le heurter, et c’est pas mal, comme rythme. Après une pause de tout l’été (puisqu’il est désormais admis que plus j’ai de temps et moins j’écris), j’ai repris après la rentrée et je m’en tiens à une vingtaine de lignes chaque jour. Pour vous, en prime time, en voici un extrait.
L’action, ici, se situe dans une brasserie parisienne. Bonne lecture !
L’été s’étire en journées brûlantes dans un Paris calme et lumineux. Nathalie en a terminé de ses timidités de débutante. Elle a pris de l’assurance, elle circule avec aisance au milieu des clients qui la hèlent maintenant en l’appelant par son prénom. Elle connaît les habitudes de certains, plaisante avec d’autres, et se laisse même aller à chahuter avec Michel, le serveur qui travaille le plus souvent aux mêmes horaires qu’elle. Il l’envoie aux tables compliquées, il lui donne des gages, des défis idiots comme placer un mot improbable en prenant la commande. Pachyderme, oléoduc, apathie… Quand elle revient sans avoir noté la liste des consommations demandées, en la répétant à voix basse pour ne rien oublier, il chuchote exprès des noms de boissons aléatoires pour troubler sa mémoire et la faire tromper. Elle soupire et le pousse du coude : arrête, Michel, arrête, c’est pas marrant ! Il rit de son gros rire de Père Noël, en agitant sa bedaine sanglée dans son tablier de serveur à trois poches. Il l’aime bien, la gamine, elle illumine son été. C’est une gentille petite. Et sage, avec ça. Deux mois pleins à bosser pour se payer la fac, c’est beau, c’est brave. Il en connaît qui n’ont pas ce courage, et pas plus loin que sous son propre toit, allez… Alors à compter du mois d’août, Michel, sans rien dire, à cessé de partager les pourboires, le soir à la débauche. Il lui a donné la totalité de la somme, en lui disant tiens c’est ta part, file Nathalie, tu as bien travaillé, aujourd’hui, les clients sont contents de toi. Elle n’a rien vu, et c’est tant mieux. Il ne cherche pas à se faire mousser, Michel… Il veut juste participer à sa manière à ses études, à cette gosse. Elle le mérite. Un coup de pouce, même minuscule, ça peut tout changer.
Nathalie range soigneusement son argent dans la bourse en cuir qu’elle s’est payée dans une boutique du Marais. Un objet d’inspiration médiévale, avec des cordons rugueux et de jolies perles ethniques qui pendouillent. Elle a trouvé que la boutique était jolie, et que le porte-monnaie était idéal pour stocker la monnaie des pourboires. Une petite cagnotte qu’elle accumule jour après jour et qu’elle dépense avec parcimonie pour quelques plaisirs anodins, une glace ou un livre chez le bouquiniste du quartier que Suzanne lui a fait connaître. Exceptées ces quelques échappées diurnes, Nathalie n’est presque pas sortie, et surtout jamais le soir. Partir seule dans les bars, ou en boîte de nuit, c’est tout simplement inimaginable. Evidemment, elle a bien eu quelques propositions, à la brasserie, des hommes un peu plus âgés qui évoquaient la possibilité de passer la chercher après son service, de l’emmener en virée, de lui faire découvrir Paris by night. Mais elle refusait toujours, poliment mais fermement.
Michel veillait, d’ailleurs, et s’en allait poursuivre le service aux tables qui sentait le soufre pour Nathalie. Les petites serveuses, ça fait retrousser les babines à plus d’un marlou, il le sait bien, et elle a beau être raisonnable, la gamine, elle pourrait bien se faire embarquer pour un tour de chauffe qui peut laisser des traces. Michel ne veut pas de ça, il s’arrange d’ailleurs toujours pour vérifier sans en avoir l’air, quand elle s’en va à la fin de son service, que personne ne l’attend au coin de la rue. Il sait trop que les fillettes sont vulnérables. Il redoute qu’on fasse des misères à sa protégée. Alors il se poste sur le trottoir, entre les tables de la terrasse, les mains dans les poches et le sourcil attentif, et il la suit des yeux jusqu’au coin de la rue, jusqu’à ce que le balancement de sa jupe disparaisse derrière l’immeuble qui lui bouche la vue. Il a l’impression de la protéger de son regard. C’est ridicule, il le sait, mais au moins, jusque là, pendant ces quelques deux cents mètres où il la surveille, aucun homme ne lui fera d’avances suspectes. Elle marche avec vigueur, de grandes enjambées décidées pour rejoindre la famille qui l’héberge. On sent qu’elle n’envisage pas de quitter sa route et de se perdre dans les faubourgs. Ce pas énergique rassure un peu Michel. Il est déjà un peu tard, pas assez pour que la nuit soit tombée, mais suffisamment pour que les matous commencent à rôder. Il espère sans oser lui dire qu’elle rentre directement. Il se dit qu’heureusement qu’il n’a pas eu de fille, parce qu’il aurait tout le temps eu peur pour elle.
Well penned 💟
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Merci beaucoup Eliza, et bienvenue !
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Ben pour un début de roman c’est déjà hyper dense – le cheminement de ton personnage « Michel » devrait s’étaler beaucoup plus. Là on dirait que tu nous fais lire la solution d’un rébus que tu ne nous montreras pas. Amicalement.
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C’est peut-être parce qu’il ne s’agit pas du début d’un roman, mais seulement d’un extrait. J’ai déjà écrit quatre chapitres de cette histoire qui mouline dans ma tête depuis des lustres, et ce passage est le début du cinquième chapitre. Je livre ici, de temps en temps, quelques morceaux choisis quand ils ne dévoilent pas l’intrigue, parce que ce n’est pas souhaitable encore d’en dévoiler le cœur (pas souhaitable pour moi, j’entends, j’ai besoin de me le garder en interne). Je donne juste à lire des bribes… en espérant provoquer du plaisir de lecture.
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Ha Ok – j’enlève « pour un début de roman ». J’aime bien le réel qui se dresse entre les deux protagonistes. Du coup il y a des frictions, à venir sans doute ; certaines informations sont présentes dans cet extrait qui relèvent d’un point de vue omniscient, alors que ton propos est justement la confrontation des points de vue, non ?
Je t’embête pour une bonne raison égoïste : comment on passe de cette « facilité » de la nouvelle, l’isolation du point de vue, ou d’un petit nombre, au roman où justement c’est la friction d’un point de vue, ou la multiplication de ceux-ci qui nourrissent la narration ?
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Alors là… tu m’en poses une bonne…
Déjà, je ne trouve aucune « facilité » à l’écriture d’une nouvelle par rapport à celle d’un roman. C’est vraiment différent, en terme de rythme, bien-sûr, de construction mentale aussi… Mais vraiment, je me trouve encore bien trop débutante pour donner des leçons, je patouille, je travaille énormément, j’y pense tout le temps, je me plante, je reprends, bref, je tâtonne… C’est pauvre comme réponse, non ? Pas pu faire mieux, désolée… 😉
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Ho, pardon du dérangement. Laisses tomber c’était juste une question comme ça. 🙂
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Aucun dérangement à déplorer, you’re welcome !😊
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J’adore. Merci d’avoir partagé cet extrait!
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De rien, merci à toi de venir, lire, et commenter. À bientôt !
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Merci de partager cet extrait !
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Merci de le lire !😊
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