Quand j’ai démarré ma carrière, je bossais dans une école dont un gros pourcentage de parents étaient saisonnier ou professionnel du tourisme. Les absences en septembre ou en juin étaient monnaie courante, et je reconnais que nous avions une certaine souplesse à ce propos. Nos loupiots n’avaient déjà que peu de temps avec leur parents (pizzaïolo, pisteurs ou guides de montagne, hôteliers, et tutti quanti, ça bosse quand moi je bosse pas, c’est un peu le principe…), donc on n’était pas trop regardants. Pour ceux-là, passer quelques jours en famille, c’était fatalement rogner sur l’école. Et c’était essentiel. Je ne me rappelle pas avoir maugréé. Pourtant, je sais très bien maugréer. D’ailleurs, je te montre comme je maugrée bien.
Donc, j’ai maugréé. Parce que quand même ça abuse. Je ne parle pas des absences de ces ponts-qui-sont-pas-des-ponts, on s’y attendait. On maugrée aussi pour ça, mais plutôt contre le ministère qui calcule les congés scolaires trois ans à l’avance et n’est pas foutu de voir que ça va coincer ici ou là. Non, c’est autre chose…
Le truc démarre toujours de la même manière, la maman s’avance au portail, sourire un peu emprunté, cils enjôleurs (ça c’est la version je te respecte quand même, malgré le truc que je vais t’annoncer, mais on peut aussi avoir la version rien à carrer de ta bobine avec un mot sec dans le cahier, même pas bisous merci bisous). Donc, la dame s’avance et glisse :
– Dites… Marcel sera pas là du 21 au 28, on part en vacances, c’est pas trop embêtant ?
Ben non, penses-tu ! Du 21 au 28 j’avais prévu de rien faire, ça tombe au poil. Parce que tu sais quoi ? On le dit pas mais régulièrement, on fait des semaines off. On bulle, on rigole, on se balade… Ah, et puis comme la semaine avant c’est Lucette qui n’est pas là, elle part à New-York, c’est moins cher, et celle d’après c’est René qui se barre au baptême de sa cousine dans le Nôôôrd, on fait trois semaines de relâche. Bam. On attend d’être au complet pour turbiner, forcément.
– Non, je voulais surtout savoir s’il y a des évaluations…
Ah ben oui, je comprends bien, faudrait pas manquer les évaluations… alors que les séances de découverte, d’entraînement, de remédiation, on peut sécher à l’aise, après tout, on refait tout le temps les mêmes trucs à l’école… T’as qu’à voir, chaque année je remets le couvert sur le présent et les additions, alors franchement, y’a pas de mal.
-Si vous voulez, vous me donnez le travail, il le fera là-bas…
La remarque qui me rend la plus amère. Je vois bien l’effort, note… on veut m’épargner de rattraper en classe au retour. Je suis donc une distributrice de photocopies ? Je leur colle des fiches, hop hop, ils les font tranquilles, je corrige et hop hop, on passe à la suivante ? Je sais bien que les parents ont en tête une image biaisée de mon métier, parce que tout le monde a une image biaisée du métier des autres, mais quand même… Putain, quand même !
-Je vous laisse mon mail ? Vous m’enverrez les leçons ?
Ben tiens… Y’a plus qu’à. Là aussi, mes années d’étude, mes compétences, mon savoir-faire, mon expérience, mes recherches perso, mes prises de tête, mes heures de préparation, c’est du vent. Y’a juste à lire la leçon.
Ces absences, ces libertés avec l’école sont de plus en plus fréquentes. Je suis peut-être réac, mais il me semble que le message donné aux enfants (tu peux manquer le boulot sans problème, c’est pas important) est grave pour le futur adulte qu’il est. Élève, c’est son métier à lui, je le leur rappelle souvent : droits et devoirs, faudrait voir à pas négliger ça. Mais voilà, on confond tout avec une magnifique mauvaise foi. Pour preuve cette phrase entendue récemment : « Y vont pas nous faire chier les enseignants, avec toutes les vacances qu’ils ont ! » Ah mais je t’arrête tout de suite, on pourrait juste s’en cogner la tintinnabule que Gudule ou Anatole se barre en vacances quand c’est pas le moment. On pourrait poursuivre la classe et le laisser se démerder, et toi avec, mais c’est bête, hein, on aime bien le faire avancer dans son apprentissage, ton gniard. On se fait du souci pour lui, rien à voir avec nos propres vacances. Mais t’inquiète va, les vacances des enseignants, c’est le prochain privilège insupportable qui va sauter. Pas de raison (et je sais même comment ça va se passer, et c’est pour bientôt).
Voilà, je maugrée avec une certaine aisance, tu remarqueras. J’ai de l’entraînement…
L’école n’est plus un temple de savoir depuis longtemps ! Publique ou privée, les programmes sont partout les mêmes, fermés, rébarbatifs, stupidement théoriques, inadaptés aux enfants mais non à une fabrique de futurs consommateurs et électeurs décérébrés. On ne veut pas des élèves intelligents, surtout pas ! Les profs font ce qu’ils peuvent et le plus souvent parlent dans le vide, les élèves sont devenus des non-apprenants ! Je viens de publier un article aujourd’hui sur mon blog : mon école idéale ! 🙂
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Je vous ai rendu visite, j’ai beaucoup aimé votre billet, il est clair et inspiré, et je suis évidemment 100% d’accord. J’aurais aimé y lire aussi une chose qu’on dit trop peu. De très nombreux enseignants font de la résistance silencieuse à cet état de faits, et à votre excellente conclusion. Ils prennent sans rien dire des libertés avec ce programme, mènent des projets porteurs et énergiques, refusent de mettre des notes, entretiennent une réflexion positive sur la manière adéquate d’évaluer intelligemment, poussent à l’entraide systématique en classe, inventent des jeux d’apprentissage, que sais-je encore… On rame, oui, mais on se bat, pour nos élèves, et pour l’avenir qu’on voudrait pour notre monde. C’est un peu prétentieux, hein ? 😉
Je viendrai explorer votre blog très bientôt, merci !
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Bon courage, Camille, bon courage oth… bon courage à tous mes collègues (ex, puisque je suis hors-jeu depuis 8 ans), mais je compatis ! Et pourtant, j’ai encore la nostalgie ! Allez comprendre !
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Bonne reprise !
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Merci, tout pareil !
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Eh bien, heureusement qu’il y a des gens comme toi qui maugréent pour ces raisons de fond 🙂 Que tu te sentes blessée par cette approche clientéliste me semble parfaitement justifiée, comme par le manque de respect de ta personne et de tes compétences qu’elle induit. Je partage aussi ton avis quant au fait de souligner que le message « tu peux manquer le boulot, c’est pas grave » l’est , car cela mine la base du contrat social qui devrait être fait de droits et devoirs partagés et de respect réciproque… Bref, maugrée, tu n’es pas seule dans ton coin à le faire et nos élèves en garderont quelque chose, mes « anciens » me reparlent souvent de mes tirades sur ces sujets. Les tiens le feront certainement aussi ^^
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C’est bien possible ! Mais j’avoue préférer qu’ils gardent de moi un autre souvenir, plus positif que « la grincheuse de service »! 🌈
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Ah mais ce que je voulais dire est que les élèves gardent le « fond » ( les valeurs, le contrat etc…), pas le côté grincheux 😉 ça, ils l’oublient – ou le « pardonnent » assez vite ^^
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Je l’espère !
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J’adore quand tu maugrées … 😉
Ça me rappelle moi, en fait…C’est vrai qu’on en voit des vertes et des bien mûres dans ce métier !
http://celestinetroussecotte.blogspot.fr/2014/01/les-bras-men-tombent.html
Bisous collègue !
¸¸.•*¨*• ☆
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Merci Célestine ! On rencontre bien tous les mêmes soucis… On ressort la menace des alloc ?😁
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Lol …c’est pas une légende urbaine ça ? hihi…
¸¸.•*¨*• ☆
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Non je crois que c’est réel, mais qui irait faire la démarche ? Ceux qui sont absents pour aller à Tahiti, ils s’en foutent des alloc, et les autres, on ne risquerait sûrement pas de les perdre pour de bon en leur faisant ce coup bas, alors…
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Oh la la ! Comme je partage le ton et le fond et la forme et tout et tout de ce billet d’humeur qui aurait pu être un billet d’humour s’il ne parlait pas si vrai, si désespérant, si accablant, si décourageant !
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Ça c’est du com’ enthousiaste ! 😉
Merci bcp pour ton soutien, et pour ta visite !
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J’aurais pu écrire : « Mais qu’est-ce que tu te casses la tête ? On te demande juste de faire la nounou, chaque matin, parce que les parents faut bien qu’ils en fassent quelque chose de leur niards, pendant qu’ils travaillent, eux ! C’est pas comme toi, ils TRAVAILLENT, tu comprends et ils ont juste 5 semaines de vacances : qu’est-ce que tu te plains ? Tu vas pas me dire que garder des mômes, c’est compliqué, quand même ! Tu leur files un dessin à faire et pendant ce temps tu enfiles des perles.
C’est plus enthousiaste, ça ??? Lol 😉
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C’est un peu cash, mais ça a le mérite d’être clair ! 😄
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Coucou vous !
J’ai eu un élève (en difficultés…) qui est parti 4 semaines en vacances pendant la période scolaire… Les billets sont moins chers…
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Je crois qu’on a tous vécu ça, et qu’on le vit de plus en plus souvent… Faire rater l’école pour un oui pour un non, mais exiger un suivi au millimètre, classique.
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Rater pour une aussi longue période, je n’avais jamais eu cela.
Le SAV doit être irréprochable !
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c’est vrai que quatre semaines… c’est plus qu’abuser… vous avez signalé cette absence à l’IEN ?
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Oui !
La famille a reçu un papier précisant que ce n’était pas bien…
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C’est pas bien, monsieur, madame, vous n’êtes pas raisonnables, dis-donc-dis-donc, mais bon : c’est votre gosse, hein, alors après tout…
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Juste un petit tirage d’oreille…
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Le minimum quoi.😏
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