Lundi matin, le « projet théâtre » de ma classe, mené sur toute l’année, arrivait à son aboutissement : la présentation finale devant d’autres classes dont on a regardé le travail également. Dans un vrai théâtre, sur un vrai plateau avec des pendillons noirs et des lumières comme pour les pros. Je les avais tous sur scène devant moi, mes loustics bien motivés. Textes archi maîtrisés, les entrées les sorties, le regard à poser, le geste à tenir, le silence à garder et le plus difficile : l’immobilité quand c’est pas ton tour de jouer, que tu es en arrière scène, visible du public qui ne doit quand même pas te regarder.
Monsieur Zonzon, l’immobilité, c’est pas son fort. Il y a toujours un truc qui remue, une jambe qui part, un bras qui s’envole, la tête qui balance, l’épaule qui tressaute. Le silence non plus, c’est pas son truc, il commente, s’exclame, s’esclaffe, soupire, tapote, clapote, cliquette, et j’en passe. Pendant les répétitions, à l’école, il m’est arrivé de sortir Jo la Gesticule (je l’appelle parfois comme ça, ça le fait beaucoup rire) manu militari de la scène par le col (ça l’avait beaucoup moins fait rire…), excédée par ce que mes collègues des années cinquante auraient appelé des pitreries.
J’espérais une accalmie pendant les quelques quinze-vingt minutes que durait leur scène. J’ai eu raison, mon espoir fou ne l’était pas tant…
En sortant, le conseiller pédagogique à l’initiative de ce projet m’a dit combien il était ravi de tout ce qu’il avait vu ce matin-là. J’ai dit oui, moi aussi, c’est un gros défi pour certains enfants. Mon regard s’est porté distraitement sur Monsieur Zonzon qui était juste devant moi dans le rang des enfants. Le conseiller, ce mec qui ne connaît pas Zonzon, qui ne sait rien de lui, qui l’a juste vu sur scène un peu plus tôt, l’a regardé et lui a dit : « Tu sais bonhomme, ce qui était impressionnant dans ton jeu ? Ton regard. Tu as posé ton regard sur nous, le public, et ton regard il était fort, il était là, et nous on ne pouvait plus te quitter des yeux. »
Monsieur Zonzon a levé les yeux en question vers moi, ces yeux qui glissent tout le temps d’une chose à l’autre, qui ne se fixent pas, jamais, qui s’échappent, qui nous échappent. Il a levé la tête, il m’a regardée tout droit, oui, sans ciller, sans fuir, un regard solide et net, comme ça n’était jamais arrivé. On s’est souri, tous les deux. J’ai vu les fossettes sur ses joues rebondies, la lumière sur son visage. Il était fier. Et moi aussi.
Bravo.
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