C’est la récréation. La gamine arrive en larmes devant moi, de gros sanglots qui lui coupent la respiration et les paupières violettes d’avoir si fort pleuré. Elle peine à m’expliquer :

– C’est parce que… tu vois… A***, elle portait C*** et elle disait que c’était trop facile et tout, et moi je lui ai dit que ça serait moins facile de la porter elle, parce qu’elle est lourde et elles m’ont dit que j’étais trop méchante et alors elles veulent plus jouer avec moi, les autres, plus jamais.

Je rassemble les concernées, j’éclaircis le drame. Effectivement, A*** du CE2 porte C*** du CE1, et elle s’est sentie « insultée de grosse » par la remarque de l’inconsolable. Je rectifie :

– Elle ne t’a pas insultée, elle t’a dit que tu étais plus lourde, c’est juste une réalité… Et moi, je voudrais que tu cesses de dire à C*** qu’elle est maigre. »

La petite ouvre des yeux comme des soucoupes. J’enchaîne :

– Oui, tu la portes sans cesse en disant qu’elle est légère légère légère. Bon, d’abord elle n’est pas un objet que tu peux manipuler comme ça te chante, et ensuite c’est pas gentil de lui dire quelle est trop maigre.

– J’ai pas dit qu’elle était trop maigre !

Je fais un grand sourire, la ruse est gagnante. La petite comprend très vite (c’est une enfant qui comprend très vite), elle me sourit en retour. J’enfonce le clou :

– Exact. Et elle, elle ne t’a pas dit non plus que tu étais trop grosse. Alors les filles, ne voyez pas des insultes partout. Et puis on ne dit pas aux gens à tout bout de champs qu’ils sont comme ceci ou comme cela. Et toi t’es maigre, et toi t’es gros, et toi t’as les cheveux comme ceci, les yeux comme cela, les jambes courtes, les bras longs, le dos tordu… Ils le savent déjà et ils n’y peuvent rien !

Voilà. Et j’ai terminé sur une belle note de vivre ensemble, tous différents et c’est tant mieux, sinon ce serait d’un compliqué pour se reconnaître ! Et puis la vie serait d’un ennui…