A chaque récré, c’est le même rituel. Dès que je prononce le sésame « allez-y », les petits mecs s’éjectent de la classe comme un bouchon de champagne, foncent dans le cabanon du matériel de sport en se bousculant, attrapent les mini cages de foot et LE ballon de la semaine et s’installent dans l’espace prévu à cet effet pour reprendre la partie là où ils l’ont laissée.
Oui, UN ballon par semaine, pour qu’ils fassent un minimum gaffe, parce qu’ils tirent comme des bourrins, ces footeux de pacotille, et que le ballon termine assez vite sur le toit ou chez le voisin. Parfois ils parviennent à le garder jusqu’au mardi après-midi. Les bonnes semaines. Ce qui fait qu’ils sont un peu obligés de jouer à autre chose le reste du temps. Un peu obligés d’apprendre à viser surtout. C’est une frustration pédagogique, voyez-vous… Ils me trouvent absolument injuste et cruelle les jours de disette, reviennent régulièrement à la charge avec des mines de chérubins contrariés pour tenter une énième approche : « Allez maîtresse, s’il te plaît maîtresse, c’est que en fait, on n’a pas fait exprès, cette fois, en fait, c’est bidule qui a… » suivi d’une histoire improbable contenant un grand nombre de « en fait », et une accusation indigne sur l’auteur du tir maudit, dénonciation a posteriori dont le but est de me convaincre qu’il devrait être le seul privé de foot. Je reste intraitable : un par semaine merci messieurs tant pis pour vous jouez à autre chose mais c’était bien tenté.
Vous avez remarqué, j’ai écrit « les petits mecs ». C’est pas que je suis sexiste, c’est juste que c’est une réalité. Parfois, quelques filles essaient d’intégrer la partie, mais ça ne dure jamais. On les accueille gentiment d’un « ok mais tu gênes pas », on les évite pendant le temps de jeu comme si elles étaient invisibles, des quilles dans le passage qu’il s’agit d’éviter au mieux. Elles galopent avec une belle vivacité, se démènent un petit moment pour prendre part aux actions malgré tout, à coups de bras levés et d’appels désespérés (je suis démarquéééééée !!!), mais rien n’y fait alors elles finissent par abandonner.
Les garçons ont un rapport étrange au ballon… Je les observe depuis des lustres avec ma collègue, et je l’avoue, on finit souvent par se dire : « Ils sont pas foutus comme nous, les boys, quand même… » C’est mal de penser ça, de le dire, plus encore de l’écrire sur un blog mais bon, on le dit pas devant eux, on le constate en les observant, on rigole toutes les deux, parce qu’il faut bien l’admettre, ils perdent la boule dès lors qu’un ballon apparaît.
Et voici l’anecdote qui m’amène à vous raconter tout ça. Hier, en sortant comme une bombe, un des mes élèves s’est rétamé sur le bitume et égratigné le genou. Il vient donc me voir, la mine déconfite, pour avoir le coup de biseptine et le pansement adéquats. Très déconfite, la mine, il est à l’article, le petit gars, il se tient le genou et grimace de douleur (oui j’ai bien dit égratignure, mais quoi, ça fait mal quand même !) Nous nous dirigeons donc vers la pharmacie, située dans un espace dont la porte donne sur la cour, et donc également sur le terrain de foot. Nous sommes aussitôt rejoints par deux gamines qui viennent m’interroger parce qu’elles ne trouvent pas l’élastique dans la caisse de jeux de récré, est-ce que je saurais par hasard où donc il est l’élastique ? Je réfléchis avec elles en même temps que j’ouvre la pharmacie pour soigner le gosse, qui se tient toujours le genou en gémissant vaguement. Quand soudain, le ballon passe dans son champs visuel, là dehors. Il lâche alors sa jambe et nous plante là pour retourner illico dans la partie. Avec les filles, on s’est regardées une seconde, éberluées, et on a éclaté de rire. Je suis sortie, j’ai appelé le grand blessé, « ben alors, t’es plus disponible ? », il a fait « hein ? » sans pour autant stopper son action décisive. J’ai donc lâché l’affaire, vue la gravité de la blessure, et je suis retournée à mon café.
Un quart d’heure plus tard, ma collègue sort avec sa classe, nous partageons alors la cour pendant 10 minutes, chaque classe de son côté des barrières (pas de brassage entre les groupes pour cause de protocole sanitaire, mais faut bien qu’on aille aux toilettes, nous les adultes, donc on s’octroie 10 minutes communes, puis je rentre pour lui laisser le champ libre). Pendant la sortie de l’autre classe, la partie de foot est interrompue, forcément. Du coup le gamin se souvient qu’il est blessé et revient me voir en se tenant de nouveau le genou. Le temps que je me lève, le ballon passe de nouveau à trois mètres de nous, trop près pour résister, et le voilà reparti sans que j’aie eu le temps de terminer le petit laïus moqueur que j’avais entamé. J’en reste bras ballants, et je m’esclaffe en racontant ça à ma collègue : décidément, ils deviennent fada ces loustics avec leur ballon !
Acte trois, dix minutes plus tard, une fois rentrés en classe. Le petit loup se rappelle de nouveau qu’il mérite un pansement, et me sollicite encore, ruisselant de sueur et en mode « ah comme je souffre ». Direction la pharmacie, en râlant un peu que je ne suis pas à sa disposition, et que là, maintenant, la récré est terminée et qu’on devrait se remettre au travail. Il écoute avec un air penaud, j’applique la biseptine, accroupie devant lui, quand soudain, il se raidit, se met à trépigner et m’annonce, en panique : faut que j’aille faire pipi, oh là là faut que j’aille faire pipi !! et de nouveau il me plante là pour foncer vers les cabinets derrière. Il ne lui a rien manqué à son retour, évidemment, mais intérieurement, je suis encore pliée de rire.
Ballon. Ballon. Ballon…
Pour conclure, j’illustrerais mon billet par cette photo que j’ai trouvée par hasard sur le web (auteur inconnu, désolée), photo qui, en plus d’être magnifique, montre le rapport des enfants, heu des garçons, avec cet objet mythique qu’est le ballon. Ils joueraient n’importe où, dans n’importe quelles conditions, ils jouent en pleine canicule, sous la pluie, par moins quinze, en délaissant leur goûter, leurs besoins primaires. Ils jouent comme si leur vie en dépendait, c’est un moyen de s’intégrer, de faire connaissance, de régler des conflits, de sceller des amitiés, de se distinguer ou au contraire d’être mis à l’écart. J’avoue, ça me dépasse, mais c’est un fait. Et c’est beau, en vrai…

ouiiiiiiiiiii le mythique « En fait » que mes petits enfants de 10 et 6 ans pratiquent avec enthousiasme ! Merci de ces séquences de vie rafraichissantes. Nous jouions au « ballon prisonnier » dans la cour de l’école. Mon nez s’en souvient encore plus de 60 ans après, en mode cloison nasale déviée !!! et pourtant nous étions entre filles…….
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Ah mais les filles jouent aussi ! Mais pas au foot… D’ailleurs, elles ont leur propre ballon et généralement elles ne le perdent pas, elles ! 😄
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Merci pour ces moments drôles et poétiques …
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Avec plaisir ! ☺️
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