ROYAN LA PROFESSEURE DE FRANÇAIS
Marie Ndiaye / Nicole Garcia / Frédéric Bélier-Garcia
Un après-midi de printemps à Royan, une femme rentre chez elle. Elle arrive du lycée où elle enseigne le français. Elle commence à monter l’escalier pour rejoindre son appartement quand elle s’arrête soudain : elle pressent la présence d’un couple qui l’attend sur son palier. Bien qu’ils ne parlent pas, elle les reconnaît. Interdite dans son mouvement, elle ne veut pas les voir. Ils sont les parents d’une de ses élèves, Daniella, et sont venus demander des explications sur son terrible destin.
La semaine dernière, j’ai vu cette pièce superbe et troublante portée par la voix non moins superbe et troublante de Nicole Garcia. Il y a des moments, dans la vie, qui nous confondent…
L’écriture de Marie Ndiaye est d’une précision redoutable, elle nous guide, implacable, dans les méandres cruels de la psychologie de cette femme : ses résistances, ses raisons, ses errances, ses amnésies, ses lâchetés, ses perplexités, ses douleurs et ses secrets. Ce texte ciselé est porté par le jeu contenu et brûlant de Nicole Garcia. Ce timbre feulé qui traîne immédiatement dans notre oreille dès que son nom est évoqué, cette légère raideur du corps, élégante, bourgeoise, cette maîtrise des silences font qu’elle est indubitablement la comédienne qui devait habiter ce rôle. J’ai appris qu’il a été écrit pour elle, je ne suis pas étonnée…
La pièce évoque la terrible souffrance d’une adolescente aux prises avec la cruauté de ses camarades, et l’incapacité de sa prof de français, en qui elle avait pourtant placé sa confiance, à réagir et à l’aider. On écoute pendant une heure et quart la prof en question se justifier de cette inaction. Sa haine, sa colère, sa honte, sa mauvaise foi, son prétendu détachement, l’ambivalence de ses sentiments vis à vis de cette enfant, son sentiment d’impuissance sont décortiqués avec précision. Un point de vue inhabituel. Sans concession. Comme une confession intime et douloureuse.
Les profs n’ont rien fait, la prof n’a rien dit, le prof a fait celui qui ne voyait rien… Récurrente accusation dès lors qu’un cas de harcèlement émerge à l’école. On peut comprendre la rancune des parents et des victimes, évidemment. Mais les profs ne sont pas des playmobils, ils entrent dans la classe avec leur histoire, leurs blessures, leur équilibre incertain. Dans la pièce, Nicole Garcia compare la classe à une horde de sauvages prêts à la dépecer. Ce ne sont pas les termes exacts, mais l’idée est là. Il faut qu’elle lutte contre sa propre peur. Elle a trouvé des parades bien-sûr, avec le temps et l’expérience, mais l’inquiétude ne la quitte pas, nourrie des épreuves de toute sa vie, de sa solitude, de ses inévitables fragilités.
Comment dans ces conditions être fort pour quelqu’un d’autre, quand notre énergie est utilisée toute entière pour nous maintenir nous-mêmes ? Pour des ados en plein désarroi, la moindre faille de l’adulte référent est une insulte à leur espoir. Ils détestent et punissent celui qui est censé être solide et tremble comme une feuille devant eux. La compassion ne fait pas partie de leur vocabulaire, la faiblesse des adultes les rend méchants, parce qu’ils lui en veulent de ne pas être à la hauteur.
Un gros coup de cœur donc, une pièce à voir sans faute.
