Petit-loup entre dans la cour chaque matin en se balançant d’une jambe sur l’autre, un peu comme un compas de navigation. Il arrive, à grandes enjambées chaplinesques, néglige le bisou à maman, laquelle, sans insister, en sourit à mon intention en haussant légèrement les épaules : il est déjà à l’école dans sa tête, elle le constate et s’en réjouit comme moi.
Petit Loup avance au milieu des cavalcades et des hurlements des autres enfants en se dandinant exagérément. Il demi-sourit, il tourne sur lui-même avec des airs de culbuto, il prend une inspiration un peu contractée, regarde à droite, à gauche, les pouces bien calés derrière les bretelles de son cartable. Un pas, un autre, arrêt, regard circulaire, un pas, un autre, toute son attitude exprime la légère anxiété qu’il ressent, chaque matin, et peut-être un peu tout le temps.
Il a fallu devenir élève, sans parler la langue, sans comprendre les codes, lui qui n’avait jamais été scolarisé avant la France. Intégrer le mode d’emploi tout en digérant le poids de son histoire, celle qui l’a amené là, dans ce village. Il a fallu extraire du gloubi-boulga qui sortait de la bouche de la maîtresse quelques indices pour comprendre les attentes, il a fallu comprendre à quoi jouaient les autres, ce qui motivait leurs courses et leurs rires pour pouvoir participer. Ils calaient leur pointe de pieds les unes contre les autres et chantaient une drôle de chanson en tapotant les orteils tour à tour. J’imagine ce qu’il a vécu : il a peut-être mis son pied aussi, n’a sans doute pas compris quand la fillette a stoppé la ritournelle sur lui et l’a poussé hors du cercle. Est-il alors entré dans une de ces rages qu’on lui connaît encore parfois, terrifié qu’on le rejette, persuadé qu’il ne vaut rien, qu’on ne veut pas de lui, et évidemment que tout est de sa faute ? Il ne savait pas qu’il s’agissait juste de choisir celui qui ferait le chat en premier. Il ne savait pas les règles, il ne savait pas les choses. Il sait désormais. Les autres savent aussi, comprennent que Petit Loup fait ce qu’il peut, qu’il a du mérite, qu’il faut savoir, parfois, être un peu plus patient avec lui qu’on ne le serait avec d’autres.
L’autre jour, Petit Loup est venu me demander pour le CE2, l’année prochaine. Il a commencé par une question sur les grandes vacances : « Quouand’ c’est, maîtrrrrresse, les vacances de pourrr aller au CE2 ? »
Il s’inquiète : les autres, ils disent que le CE2 c’est super dur… Et puis il aura sans doute une autre maîtresse, ce sera dans une autre salle de classe, et aussi il faudra aller dans la cour des grands : tout ça, ça fout les jetons, c’est sûr.
Evidemment je l’ai rassuré autant que possible, et j’ai raconté cette anecdote en rentrant à la maison le soir. J’étais concentrée sur son inquiétude, légitime, compréhensible, mais je voudrais tant qu’il soit apaisé, mon Petit Loup… Mon compagnon m’a répondu avec son détachement et son bon sens habituels : « Et ben c’est cool, il se projette, ça y est, il est vraiment élève. Il pense à son futur, il veut réussir à l’école… c’est qu’il va mieux ce gosse ! »
Ah oui… tiens… on peut voir les choses comme ça, je me suis dit. Et je me suis félicitée, parce que bon, j’y suis un peu pour quelque chose et ça me fait du bien de le penser ! 😉
Bon printemps, les amis !
Bon printemps, donc ! et vive l’aventure.
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Absolument, merci !
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Il faut souvent l’éclairage d’une tierce personne avant d’interpréter définitivement 😀 Ça ne doit vraiment pas être facile pour ces enfants déracinés !
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Non, c’est sûr, c’est toujours compliqué… Merci pour votre présence, Gibulène !
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