J’en ai marre. Plus que marre. N’en jetez plus, la coupe est pleine, la dame s’épuise, ça sent le découragement à plein nez, le renoncement, l’exaspération, et tout près, la colère.
Vous qui me lisez parfois sur ce blog, vous connaissez mon métier. Enseignante. A quoi vous pensez quand je dis que je suis institutrice, maîtresse, prof des écoles ? Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? C’est quoi mon taf à votre avis ? Vous avez tous une idée précise et vraie : j’apprends à lire, à compter, à écrire à des petits bouts de 8-9 ans, je les emmène visiter des musées, voir des spectacles, participer à des projets, je leur lis des histoires, je les éveille à ce que le milieu familial ne leur offrira pas forcément, je crée une culture commune, je surveille les récrés, je soigne les bobos et apaise les conflits, je participe à l’éducation dire bonjour dire merci.
Tout ça.
Vous oubliez les formulaires. Des tas et des tas de formulaires, avec des noms à coucher dehors, des PPRE, des PAP, des Geva-Sco, mais peu importe, leur nom changera sitôt qu’on se sera habitué à eux.
Ces documents sont nécessaires pour la prise en charge des enfants en échec scolaire, qu’on appelle aussi en difficulté ou à besoin ou fragiles ou handicapés.
On dira peut-être dys-ceci ou dys-cela, atteints de troubles, porteurs de handicap, syndrôme patin couffin, TDA-H ou TOP ou HPI ou… t’inquiète, ça aussi ça changera, pour ça non plus on n’arrive pas à suivre.
On n’a pas de RASED chez nous, alors faut-il envoyer ces enfants en consultations chez un libéral, au CMPP, à l’hôpital de jour, au Centre des troubles des apprentissages ? Chez l’orthophoniste, l’ergothérapeute, le psychomoteur, le psy tout court, l’orthoptiste ? J’hésite… Est-ce mon rôle de décider de ça ? En ai-je les compétences ?
De toute façon, le spécialiste me fera passer par les parents un document à remplir de 3, 4 pages, un truc interminable et ultra précis dans lequel je vais devoir détailler les difficultés en classe, les aménagements que j’ai déjà mis en place pour cet enfant et s’ils ont été couronnés de succès ou pas. Il faudra donc que j’observe à la loupe un élève : sait-il sauter à pieds joints et retomber sur ses deux pieds, attrape-t-il une balle à deux mains ou une main, comment tient-il son « outil scripteur », comprend-il les consignes orales, écrites, complexes, multiples, collectives, individuelles ?
J’en peux plus de remplir ces paperasses, j’en ai marre d’expliquer vingt fois que je n’y arrive pas, que celui-ci ou celle-là confond les lettres ou bégaie atrocement, ne parvient pas à saisir le sens des nombres ou à maîtriser ses émotions. On me demande sans cesse de prouver que j’ai échoué pour que le gamin obtienne une aide, un tiers-temps, un suivi spécifique, une AESH. J’y passe un temps infini, avec cette sensation pénible que tous ces formulaires, c’est juste pour jouer la montre, les véritables aides arriveront peut-être en CM1 ou CM2, souvent seulement au collège, et parfois jamais. Je passe un temps considérable à faire des démarches qui serviront aux collègues après moi, et pendant ce temps je me démerde. C’est vrai que le CP, le CE, c’est pas très important, rien de fondamental ne s’y acquiert n’est-ce pas ? Il vaut mieux attendre que le gosse entre au collège pour se demander comment ça se fait qu’il ne maîtrise pas la lecture… Ah oui, parce que le redoublement n’est plus accordé non plus, les élèves passent coûte que coûte dans la classe supérieure, paraît que c’est mauvais pour leur ego et inefficace pour leurs apprentissages. C’est surtout cher pour l’Etat, une année de plus à l’école pour un élève, par définition en échec… mieux vaut le laisser végéter et s’abîmer année après année non ?
Et si on ne fait pas tout ça ? C’est vrai, après tout, il suffit d’arrêter tout ce cirque, de stopper la diarrhée administrative et dire stop : mon métier se limite à rencontrer les parents et signifier les difficultés, conseiller l’orthophoniste ou le CMPP à la rigueur, faire mon max en classe évidemment et basta. Oui mais… les parents sont en droit de « se retourner contre moi » s’ils décrètent que je n’ai pas fait le nécessaire. Comment le jugent-ils ? Facile : grâce à ces multiples paperasses, la preuve écrite que j’ai assuré ma mission, mon parapluie en quelques sortes. Et puis au-delà du risque d’être accusée de faute professionnelle, j’ai surtout envie que untel ou unetelle obtienne l’aide qui me paraît nécessaire, je culpabilise à l’idée d’être passée à côté d’un trouble X ou Y.
On nous tient par la culpabilité et la menace. On brasse du vent, plus personne n’y comprend que dalle, on s’épuise en démarches inutiles, chronophages, insensées… et ça démissionne à tour de bras dans l’enseignement. Mais on s’interroge : c’est vrai qu’ils ne sont pas trop bien payés, mais… c’est un beau métier, quand même, non ?

Camille,fatigue normale dans ce métier,vous donnez votre maximum,physique et mental,attention ,ne vous épuisez pas,ne dépassez pas les BORNES,ce dernier mot ne met plait pas!!!!
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J’apprécie beaucoup votre réponse presque inquiète, c’est important de se sentir compris. Ne vous faites pas de bile, je suis bien entourée et pour décharger mes rages, j’ai le blog : un excellent lieu cathartique ! 😉
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Mes 3 enfants , 42 , 39 , 31 ans ne souhaitent pas d’enfant …!!!
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Franchement, je les comprends… Même si ça me fend le cœur tant ça démontre un manque de confiance dans l’avenir.
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un des métiers les plus difficiles à mon sens ! Et fort heureusement il y a encore des enseignants qui y croient, comme vous, et qui malgré les difficultés ne baissent pas les bras ! beaucoup de parents seraient en échec sans vous. Les enfants, eux, aiment « la maîtresse » instinctivement et font ce qu’ils peuvent avec votre aide. Merci pour eux
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Merci à vous 🤗
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