C’est l’printemps messieurs dames !

Au retour de la récré ce jour-là, alors que tout semblait s’être bien passé, je découvre l’un de mes élèves en train de tenter vainement de contenir le flot de larmes qui coule sur ses joues. Il s’essuie frénétiquement le visage et cherche à calmer les hoquets de chagrin qui lui coupent la respiration.

L’affaire est grave, son copain (naaaan c’est pas mon copaaaain ! Oui enfin d’habitude il l’est, juste là tu es en colère mais bon, bref, ton… heu… camarade ?) a passé la récréation entière à chantonner aux oreilles de tout le monde qu’il est amoureux de sa voisine de classe et c’est même pas vrai et vraiment il en a marre ! Et re-larmes.

La voisine en question regarde ses pompes, sifflote et attend que la crise passe. J’imagine ce qui se passe dans sa tête parce que je la connais bien, ça doit être une tempête émotionnelle pour elle, cette situation. C’est que l’inconsolable à ses côtés est l’Élu, justement. Elle ne le clame pas, je ne sais même pas s’il le sait, lui, mais il ne s’agit pas d’une posture : elle est vraiment morgan de lui comme on disait quand j’avais 10 ans. Je le sais et évidemment je le tais. Elle regarde ses pompes, donc, et je prends soin de ne pas croiser son regard, de ne pas la mettre plus mal à l’aise qu’elle ne l’est déjà.

– Boh, dis l’autre, ça va, j’ai dit ça pour rigoler !
– Effectivement, ça a l’air vachement marrant, répond-je.

C’est là que le visage de l’auteur de l’affront se crispe soudainement et qu’une vague de chagrin le traverse d’un coup : lui aussi est en larmes, malheureux, honteux.

– Mais aussi, hoquette-t-il, c’est parce que Machin il a dit à tout le monde que j’aimais Truc et c’est même pas vrai alors…
Je lui coupe la parole :
– Alors tu t’es vengé. Super. On est bien avancés. Tu te sens soulagé, là, tout de suite ?

Non, ben non, forcément non. Je démarre un laïus sur l’importance de respecter l’intimité des gens, que l’amour c’est intime, ce n’est ni secret ni honteux, c’est juste intime. Personne n’a envie d’entendre son intimité déballée dans la cour de l’école. Donc quelle que soit la colère qu’on ressent contre quelqu’un, il y a des limites à ne jamais franchir, le respect de l’intimité en est une.

C’est alors qu’une autre de mes élèves prend la parole d’une voix courroucée :
– Oui, moi je trouve que t’as raison, maîtresse. C’est pas gentil quand on dit les secrets des autres. Moi j’ai dit qui j’aimais une fois et alors tout le monde l’a répété. Et à chaque fois c’est pareil : j’ai été obligée de changer quatre fois d’amoureux !

Je suis super pro, moi. J’ai même pas souri, même pas l’œil qui frétille, rien de rien, un self-contrôle de ouf dont je ne suis pas peu fière (sous vos applaudissements). J’ai clôturé l’incident par un : « Voilà, donc on est bien d’accord, on ne dit pas les secrets des autres. » (parce que bon, après on est forcés d’entrer dans des dérives d’amours multiples compliquées à gérer, c’est tout un chantier pour gommer le prénom aimé un peu partout dans l’agenda, c’est la lose. Alors, hein !)

Un commentaire sur « C’est l’printemps messieurs dames ! »

  1. quel régal, la spontanéité des enfants. Mon fils avait refusé de faire un cadeau à sa « copine » de classe qui elle était venue avec un petit paquet pour lui à la Saint Valentin, parce qu’il « l’aimait fort mais pas d’amour ». Tout était dans la nuance mais elle avait fini la journée en pleurs et ça m’avait fendu le coeur de voir sa détresse !

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