Les écoles Montessori

FreudeJe vois fleurir depuis quelques temps sur internet des films très intéressants et très bien conçus qui magnifient la pédagogie Montessori et nous font pousser des soupirs d’aise. Bien-sûr que j’adhère au concept : le respect de l’enfant, de son rythme, de son bien-être, de ce qu’il est et pas de ce qu’on voudrait qu’il soit. L’exploration du monde par les 5 sens, la mise en action permanente, le jeu fondamental, l’apprentissage par l’inter-relation… Bien-sûr. D’ailleurs la seule année de ma carrière où j’ai eu des maternelles, j’ai mis en place une adaptation de la pédagogie Montessori. Une adaptation, forcément, pas de petits tapis individuels, de jolie marchande en bois, de multiples rangements colorés pour que les enfants deviennent autonomes, non. J’aurais bien voulu hein, mais tout ce matos est très onéreux, on peut même dire que c’est une marchandise extrêmement lucrative (certains ne s’y sont pas trompés depuis quatre ou cinq ans, et sont en train de se faire des c… en or, méfiez-vous). J’ai donc fait avec les moyens du bord, l’ensemble du matériel fabriqué de mes petites mains habiles à coup de plastifieuse et massicot, et les parents embarqués avec moi sur le navire de gré ou de force, puisque, si nous avons la contrainte du programme scolaire, nous conservons dans nos classes la liberté de pédagogie. Pas de classeurs, de cahiers, pas de fiches d’exercices, ou si peu… Et j’ai adoré cette année-là, vraiment. J’ai eu des parents inquiets qu’il a fallu rassurer, d’autres totalement conquis, mais surtout, j’ai eu des élèves heureux, qui arrivaient en classe chaque matin avec la banane et l’impatience de découvrir « ce qu’on allait faire aujourd’hui ».

Bref, je suis absolument convaincue de l’intérêt et du bien-fondé de ces pédagogies alternatives, j’y puise des ressources, des idées, ces réflexions font avancer le schmilblick et font du bien à tout le monde.

Ce qui me gêne profondément, c’est de mettre dos à dos notre brave école publique et ces pédagogies soi-disant révolutionnaires. On laisse entendre que chez nous (voilà, paf, chez nous, me voilà en mode défensif), à l’école ordinaire quoi, ne règnent que violences et contraintes, que les enfants sont forcés, empêchés, taillés comme des bonsaïs, et que là-bas, dans ces écoles où on raque à l’entrée, ils seront choyés, heureux, paisibles dans leur croissance intellectuelle et physique, et développeront  des compétences bien supérieures, du coup (on pourrait réfléchir, d’ailleurs à la motivation première : former des enfants heureux ou former des enfants surdoués ? Relire C. Alvarez et s’interroger sur le nombre de fois qu’elle avance comme argument la très grande précocité de ses élèves concernant les savoirs fondamentaux, lire écrire compter…).

Ce qui est très curieux, c’est que les parents fuient vers le privé pour deux raisons, absolument contradictoires, ce qui montre bien qu’on ne sait plus où on habite : ils veulent une école qui respecte leur petit en plein développement (ça c’est pour la mater) et ensuite, à l’âge du collège, ils veulent une école qui les cadre, qui les tient, qui leur apprend la rigueur et l’exigence. Autrement dit, on est des brutes avec les petits et on laisse les grands faire absolument n’importe quoi.

Je suis pour ma part persuadée que respecter le rythme de l’enfant, être bienveillant avec lui n’est pas du tout incompatible avec une exigence de rigueur, mais j’ai déjà développé ce point de vue dans un précédent article ( que vous pouvez lire en cliquant ici : A propos des Yo Soy). Je ne crois pas que notre école traditionnelle mette en oeuvre le sabotage orchestré de nos chères têtes blondes (brunes, rousses). Je suis triste que ces fantasmes perdurent, je suis triste que malgré nos efforts nous soyons ainsi inexorablement associés à une école du passé qui n’existe plus depuis… depuis mai 68, merci les baby-boomers d’avoir balayé tout ça.

Oui, vraiment, j’aimerais que les parents tentés par ces écoles s’interrogent… Nous avons l’immense privilège en France de pouvoir inscrire nos enfants dans des écoles publiques et gratuites, dès l’âge de trois ans. C’est inestimable, ça n’existe nulle part ailleurs. Avant d’aller gonfler le rendement de ces écoles alternatives qui savent surtout se vendre à coup de plaquettes publicitaires alléchantes, prenez le temps de visiter votre école de quartier, de discuter avec le maître ou la maîtresse, de sentir l’ambiance qui règne, de renifler les bonnes ou mauvaises ondes. Si ça se trouve, votre école de quartier, de village, fait du Montessori et oublie de s’en vanter. Car nous ne savons pas nous vendre, nous autres, nous sommes fonctionnaires, nous ne faisons pas de clientélisme, nous n’avons aucun intérêt à vous leurrer, à nous faire mousser, à gonfler les résultats aux évaluations pour faire bien, à afficher ostensiblement nos projets pour faire genre. On ne se vend pas. Gardez bien ça en tête : on ne sait pas se vendre. Et c’est tant mieux, non ?

Voilà. J’aime Montessori, Freinet, Céline Alvarez et même Summerhill, mais surtout, j’aime mon école publique, gratuite, ouverte à tous. Il me paraît essentiel de la défendre. Bec et ongles. A force de la dénigrer inlassablement, on va la perdre. Depuis 40 ans, on nous martèle qu’elle est trop chère, beaucoup trop chère, et qu’elle est inefficace.  Depuis 40 ans, on nous prépare doucement à sa suppression aux profit d’un système semi-privé, demandez-vous qui en sortira gagnant… Cessons un peu de jouer aux enfants gâtés.